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« La prison, je connaissais avant même d’y rentrer »

Berthet One est dessinateur. Sa première bande dessinée, L’Evasion, a été écrite en prison, où l’artiste de 39 ans a passé cinq ans. Il raconte sa vie d’avant ; avant ses projets artistiques et citoyens, avant qu'il ne fonde son association de prévention et d’insertion par l’art.

«J’ai grandi dans un quartier, la cité des 4000, à La Courneuve, donc la prison, je connaissais avant même d’y aller. A 14 ans, on sait déjà comment ça marche de A à Z : le sport, les parloirs, on connaît déjà tout. Parce que les grands du quartier y vont et nous racontent en sortant, pour gonfler le torse.
Je suis tombé deux fois. La première, j’avais 18 ans. C’était pour des faits mineurs : on a essayé de voler une voiture, mais on s’est fait attraper. J’étais avec deux potes qui avaient un casier – l’un avait déjà fait de la prison. Moi, mon casier était vierge, je passais mon bac, j’étais bon élève. En comparution immédiate, le premier a pris dix mois, le deuxième quatre mois. Puis la juge est passée à moi. Elle m’a demandé : “Mais qu’est-ce que tu fais là ? Je ne comprends pas. Tu as un parcours tout à fait normal !” Comme je n’avais pas d’antécédents et que les faits étaient vraiment mineurs, je pensais que je n’allais rien prendre : une amende, des TIG [travaux d’intérêt général] au pire. Du coup j’ai joué au fier. Je n’ai rien dit, tout était dans l’attitude, genre “vas-y dépêche-toi de me juger et laisse-moi sortir” ; un truc de gamin de 18 ans. Voyant mon attitude hautaine, la juge m’a dit : “Je crois que tu as besoin d’une petite leçon, je vais te mettre dans la prison la plus dure de France.” Direction Fresnes, pour un mois.

Le problème, c’est que je connaissais beaucoup de monde dans le 94, parce que j’ai des cousins là-bas. Quand j’arrive à Fresnes, je retrouve donc pas mal de monde de mon quartier, mais aussi ces copains du 94. Ils me prennent sous leur aile. A cette époque, Vitry était considérée comme la capitale des braqueurs. La prison devient l’école du crime pour moi. J’arrive pour un vol de voiture, je ressors en sachant comment percer des coffres. C’est ce que je fais à ma sortie, jusqu’à ce que je me fasse attraper, en 2006. Cette fois-ci, je prends dix ans. Je sors au bout de cinq, en aménagement. La première fois, ça ne comptait pas : c’était comme des vacances, ça durait quelques semaines : le temps d’apprendre deux-trois petits trucs, et j’étais dehors. Mais quand j’arrive en taule pour une longue peine, je me dis : “Ce n’est pas la même chose.” Et surtout que je n’ai rien à faire là.

Pour certains, la prison est un mode de vie. Ils font des allers-retours, parce qu’ils n’ont pas eu les mêmes opportunités que moi, les mêmes facilités. Je m’en rends compte immédiatement. Issus de familles monoparentales, ils n’ont souvent pas grandi dans des familles où on maîtrisait le français, on ne les a pas poussés à faire des études. Ils ne voyaient pas comment faire autrement.

Moi j’ai eu le choix. J’ai été élevé avec des valeurs : la politesse, le goût des études, du travail, le respect de la vie d’autrui. Mais j’étais le mouton noir de la famille. Je voulais faire de l’argent immédiatement, je ne voulais pas attendre. Cette deuxième immersion en prison m’a fait prendre conscience de ma valeur, et de ma chance. A partir de là, j’ai tout fait pour m’en sortir. Je me suis battu pour être seul en cellule, j’ai passé mon BAC et un BTS en  communication visuelle. Et j’ai repris les crayons. »