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Le code des détenus

« La déviance est la norme »

En détention, les normes sociales se confrontent aux normes juridiques. D’ailleurs, la déviance y est la norme, et plus on excelle dans la criminalité, plus on est reconnu socialement. Certains peuvent même atteindre un statut « d’élite ». Ce statut n’accorde pas forcément un privilège, plutôt une forme de respect : on devient la personne à qui l’on vient demander conseil. Ce statut, accordé principalement sur des critères empiriques, peut se voir accompagné d’un titre ou plutôt surnom, comme « l’ancien », « grand frère » ou « tonton »… Entre les détenus, le tutoiement est de rigueur, peu importent les différences d’âge et que l’on se connaisse ou non. Peu importent, aussi, les différences entre classes sociales, de toute manière une seule classe est majoritairement représentée dans la prison de Fleury-Mérogis – alors oui, évidemment, il existe de rares exceptions, mais dans l’ensemble, cela reste assez anecdotique – mais revenons-en au tutoiement et au vouvoiement. Le vouvoiement, généreusement accompagné d’hypocrisie, est réservé à ceux qui nous l’imposent au prétexte d’un hypothétique respect, principalement au secteur de la magistrature. Mais ne serait-ce pas plutôt un moyen de maintenir une distinction entre les classes ? Molière faisait dire à Don Juan : « L’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. » Une citation qui date du XVIIe siècle. Près de 350 ans plus tard, elle garde tout son sens. — Y. R.

« Pointeur », souffre-douleur

Il y a une hiérarchie entre les prisonniers : tout en haut, les tueurs de policiers, gendarmes. Ensuite, les braqueurs. Et à la fin, ceux qui sont rentrés pour un viol et, encore pire, un viol sur mineur. On les appelle les « pointeurs ». Ces derniers sont la pire espèce. Ils sont insultés, criblés de crachats, frappés par des dizaines de détenus… Y compris même parfois des détenus eux aussi concernés par ce genre d’affaires ! Quand on est catalogué « pointeur », il faut éviter de croiser les regards de ceux qui ne cherchent que ce prétexte pour mal vous parler et vous agresser, verbalement et physiquement. C’est pour cela que beaucoup de détenus ne sortent quasiment jamais de leur cellule. Mais en même temps, si un jour vous sortez et que vous croisez quelqu’un, il peut vous dire : « Je ne t’ai jamais vu, toi ? Tu sors jamais ? T’es un pointeur. » — J. V.

La violence est omniprésente, la force et l’argent font office de code pénal ici. Pour ma part, je pars du principe que si tu n’embêtes personne, personne ne t’embête. Pourtant, tu as beau tout faire pour les éviter, rester tranquille dans ton coin, les problèmes viennent parfois d’eux-mêmes à toi. – M.

L’omerta

Comme chacun le sait déjà, une omerta existe en prison, et la transgresser revient à passer pour une « balance ». Mais avec ce principe, les exactions demeurent secrètes et impunies. Pour moi, cette omerta définit ce que j’appelle la « mentalité de taulard » et je n’y souscris pas. Il faut dire que les gradés ne favorisent pas la parole en ne respectant pas souvent l’anonymat de la personne qui ose s’exprimer. Ce fonctionnement induit des injustices et des représailles en cas de dénonciation. Il peut aussi exister des groupes, clans ou bandes qui se soutiennent face à l’adversité. En faire partie rassure mais exige une totale solidarité. — Alain Térieur

Les lois principales et informelles sont « œil pour œil, dent pour dent ». Chacun pour soi et tous sur celui qui l’ouvre ou qui se plaint. Tu ne vois rien, tu n’entends rien, tu ne dis rien. – Anonyme

On nous divise

En prison, il y a ceux qui ont des triceps de tyrannosaures, et ceux qui ramassent les « parachutes » *. Il y a ceux qui tiennent la détention avec le haschich : tous les addicts leur mangent dans la main. Tout ça amène parfois à de violentes bagarres. En ce moment, il y a des mecs qui se disent radicaux pour trouver la tranquillité. Ils s’entourent de « frères », quitte à être fichés S. Et il y a aussi les gars qui n’ont rien à faire là, ceux qui se morfondent dans leurs cellules car ils se font victimiser, racketter. Il y a ceux qui créent leur milice car les surveillants ferment les yeux. Parfois, un surveillant vous dit, comme ça m’est arrivé il y a une semaine : « S’il y a des blessés dans la douche, je n’ai rien vu. » On nous divise, les structures sont faites pour qu’on ne puisse pas s’unir, on s’entretue et ça fait leur bonheur. — S. H.
* Objets projetés dans l’enceinte de la prison depuis l’extérieur, généralement dans un sac plastique.

Précis de survie

Rapport de force, communautarisme, solidarité et inimitié ne sont que des formes d’adaptation à la survie en milieu carcéral. Les règles : ne pas parler des affaires d’autrui ; ne pas intervenir dans des histoires qui ne vous regardent pas ; pouvoir compter sur quelques personnes sûres en cas de besoin ; respecter sa parole ; ne pas livrer la moindre information au personnel. — P. R.