Free cookie consent management tool by TermsFeed

Le pari pas si fou d’un surveillant

Créer une coopérative agricole pénitentiaire, autofinancée et autogérée, dans laquelle travailleraient des détenus en fin de peine, des sortants de prison et des surveillants. Tel est le projet défendu par Antoine Franck, surveillant depuis près de 20 ans, en attente d’autorisations des autorités pénitentiaires et ministérielles.

En quoi consiste le projet que vous tentez de mettre sur pied ?

Je souhaite créer une coopérative agricole pénitentiaire, qui accueillerait des détenus volontaires en fin de peine ou sortant de prison. Il s’agirait d’une prison ouverte, sans enceinte pénitentiaire, une véritable ferme. La production pourrait alimenter en produits frais le centre pénitentiaire (CP) de Nancy, puisque nous sommes dans cette région, et les surplus seraient vendus sur les marchés locaux. Ce projet est inspiré du pénitencier agricole de Witzwil, en Suisse. Dans cette prison ouverte, environ 190 détenus sont occupés à des activités d’artisanat et d’élevage. Ils génèrent un chiffre d’affaires de 12 millions d’euros.

Quels profils de personnes détenues pourraient être concernés ?

Je rencontre en détention des personnes dont l’incarcération est vraiment un accident de parcours, qui veulent s’en sortir. C’est à elles que ce projet s’adresse. Elles pourront finir leur peine au sein de la coopérative agricole, ou y être affectées en aménagement de peine. Je souhaite que leur contrat de travail avec la coopérative puisse être prolongé après la levée d’écrou. Il faut que les plus motivées puissent y trouver un emploi durable, afin de former et encadrer à leur tour de nouveaux arrivants. Voire participer à la création d’autres coopératives en France. Il me paraît également important de pouvoir inclure les familles au sein de la coopérative, alors qu’elles sont un moteur crucial de la réinsertion. La conjointe pourrait ainsi travailler, elle aussi, au sein de la coopérative, la famille choisissant de résider dans le domaine ou en dehors.

Comment imaginez-vous la mise en route de cette coopérative agricole ?

L’Etat pourrait racheter pour un euro symbolique une des nombreuses fermes abandonnées que l’on trouve dans la région. Un groupe de détenus encadrés par des surveillants volontaires pourrait commencer par assurer la rénovation, sous forme de mesures de placement extérieur sous surveillance. L’idée générale, lors de la rénovation, puis de l’activité de la coopérative, est que tous (surveillants et détenus) participent aux travaux, mangent ensemble à midi… J’ai toujours eu pour principe de « faire avec », pas de rester seulement à surveiller. Je pense également solliciter des fonds européens pour démarrer, faire appel à des fondations. Par la suite, la production couvrira les frais de fonctionnement. Ce projet ne coûtera rien à l’État.

Selon quels principes envisagez-vous le fonctionnement de la coopérative ?

Les règles de travail seront les mêmes que dehors. Le fonctionnement en coopérative suppose un salaire pour tous, augmenté du partage des bénéfices. Si une personne ne remplit pas son contrat, elle est rappelée à l’ordre, voire, en dernier lieu, licenciée. A l’inverse, quelqu’un qui donne satisfaction peut évoluer, devenir contremaître.

En termes de règles de vie, je souhaite là aussi être le plus proche possible des conditions « normales ». Après la journée de travail, chacun dispose de son temps : visite des familles ou d’amis, sport, détente, etc. Ce qui est permis dehors le sera aussi au sein de la coopérative. Recevant un salaire, chacun pourra choisir son lieu de logement, soit sur le domaine, soit à l’extérieur.

Quel est l’état d’avancement du projet ?

Nous avions enclenché une première phase : un groupe de cinq à huit détenus volontaires devait participer à la préservation et l’entretien des voies d’eau (rivières et canal) à proximité de Nancy, en partenariat avec les collectivités locales et un lycée agricole. Une fois les berges nettoyées, en lien avec le lycée agricole, nous les aurions cultivées et laissées à disposition des populations locales. L’image du monde pénitentiaire s’en serait trouvée améliorée, tout en ouvrant la prison sur l’extérieur. La construction du projet avançait bien, jusqu’à un différend, sur un tout autre sujet, entre le juge de l’application des peines (JAP) et le directeur du centre pénitentiaire, ce qui a tout bloqué. Nous avons maintenant un nouveau JAP, et j’ai l’espoir que les discussions reprennent. Sur le projet de coopérative, le directeur me soutient ; la direction interrégionale de l’administration pénitentiaire est informée, mais n’a pas réagi. J’ai aussi présenté le dossier de la coopérative au député-maire Dominique Potier. Il s’est montré très intéressé, s’engageant à trouver une ferme dès que j’aurai le feu vert de l’administration pénitentiaire. Il a également écrit à madame Taubira, qui nous a répondu en exprimant son intérêt. Il faudrait maintenant que cet intérêt se concrétise.

Comment vous est venue l’idée d’un tel projet, qu’est-ce qui vous anime ?

Je travaille dans l’administration pénitentiaire depuis 1994. J’y ai été professeur de sport, surveillant d’atelier, à la bibliothèque, vaguemestre, surveillant de coursive, etc. J’ai appris que personne n’est à l’abri de la prison. On repère vite ceux qui ont besoin d’aide. Nous pouvons les aider à trouver un stage, une formation. Mais après ? Je croise souvent en ville d’anciens détenus qui me disent n’avoir plus rien, que leur stage n’a pas débouché sur un emploi, et qui craignent de retomber. Je me sens proche de ces gars, ils sont surtout confrontés à une situation économique difficile, au chômage. Face à ce constat, soit on n’espère plus rien de personne et on remplit nos prisons, soit on se bat pour imaginer d’autres solutions et proposer une issue à ceux qui veulent s’en sortir. J’ai aussi une histoire personnelle qui me permet de comprendre : je suis entré à 17 ans dans l’armée, après avoir vécu en foyer, suite à des difficultés familiales. J’étais très indiscipliné et les gradés se sont chargés de me remettre les pendules à l’heure. A certains moments de sa vie, on peut avoir besoin d’un cadre pour se construire. J’ai enfin l’expérience d’avoir monté deux restaurants associatifs à Nancy.

Vos collègues et votre hiérarchie partagent-ils vos convictions ?

Ceux de mes collègues qui ont de l’ancienneté ou ont un peu vécu avant d’entrer dans la pénitentiaire sont sur la même longueur d’onde. Certains seraient prêts à partir dans un projet leur permettant d’utiliser d’autres compétences que celles demandées par l’administration pénitentiaire. C’est plus intéressant que de passer son temps à ouvrir et fermer des portes. Si demain il me faut vingt surveillants volontaires, ils seront là, sans difficulté.

Les problèmes viennent plutôt de la hiérarchie. Un jour, j’ai passé une demi-heure auprès d’un détenu qui voulait aller cogner un surveillant afin de le calmer. Cela m’a valu d’être accusé de trafic et de perdre mon poste – même si la direction interrégionale m’a finalement donné raison. Je suis maintenant à l’Unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI) et on me recommande de travailler de cette façon.

Propos recueillis par Barbara Liaras

Soutenez la diffusion du guide du prisonnier