Marc* était surveillant. Début 2006, avec l’un de ses collègues, il contacte l’OIP pour alerter sur les violences, les brimades et les abus commis par un petit groupe de surveillants du centre pénitentiaire de Liancourt, où il travaillait. Nous les avons mis en relation avec les sénatrices Alima Boumediene-Thiery et Nicole Borvo afin que soit saisie la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), ancêtre du Défenseur des droits. A commencé alors un minutieux travail d’enquête et de recueil de preuves, et la responsabilité des deux principaux surveillants agresseurs a finalement été reconnue par la justice : ils ont été condamnés, en décembre 2006, à des peines de quatre mois de prison avec sursis, sans inscription au casier. Côté pénitentiaire, après une suspension de quelques semaines, ils ont été mutés… Avant d’être promus et de réintégrer Liancourt quelques années plus tard.
Durant les mois qui ont suivi le procès, Marc et son collègue ont quant à eux dû faire face, quotidiennement, à la suspicion, au rejet et aux pressions de nombre de leurs collègues qui ne supportaient pas que l’affaire ait été rendue publique. Marc a finalement obtenu sa mutation au centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin, où les pressions ont enfin cessé. Quelques mois après, le 25 novembre 2007, il décédait d’une maladie foudroyante. Nous reproduisons ici le témoignage qu’il avait remis à la CNDS le 8 avril 2006.
« Un jour comme un autre, le chef de la maison d’arrêt s’apprête à lancer les promenades. La discipline est de rigueur, les détenus sortent de leur cellule un à un et restent devant leur porte, attendant le signal du chef pour pouvoir descendre en promenade. Pendant ce temps d’attente, il leur est impossible de bouger, de se parler ou bien de se saluer. Surtout, ne pas mettre les mains dans ses poches, sinon un rappel à l’ordre leur est lancé par un violent ‘‘Mains dans les poches !’’ par le chef ou ses agents, qui hurlent ces consignes, forts du pouvoir qu’on leur accorde. Si par malheur un détenu n’est pas prêt devant sa porte, debout, habillé et chaussé lors de son ouverture, on lui claque violemment la porte au nez, le privant du coup de la promenade à laquelle il a droit. Bien évidemment, celui-ci réclame par la suite sa promenade, ne comprenant pas les règles instaurées.
Le chef ordonne à ses agents de faire descendre les promenades, puis revient voir le détenu, entouré de toute sa garde. Tout le monde s’équipe, les gants noirs sont de rigueur. À l’ouverture de la maison d’arrêt, le chef voulait nous imposer ces gants portés à la ceinture. Je ne les ai jamais portés, n’y trouvant aucun intérêt. Maintenant, je sais pourquoi ils sont utilisés, c’est pour cogner !
– ‘‘T’étais pas prêt, pas de promenade.’’
– ‘‘Mais si, chef, je n’avais plus qu’à enfiler mes baskets pour sortir de la cellule’’, rétorque le détenu, tout apeuré par tout ce monde devant sa porte.
– ‘‘Discute pas, c’est quoi ton problème ?’’, menace le chef en le bousculant à plusieurs reprises à l’intérieur de sa cellule. Deux ou trois agents lui emboîtent le pas, prêts à bondir sur le détenu.
– ‘‘Je n’ai rien fait chef, pourquoi vous me bousculez, vous cherchez quoi ?’’
La tension monte, une première gifle sur le visage, puis une seconde.
– ‘‘Quand on te dit d’être prêt, tu es prêt, tu respectes le personnel’’, lance le chef en lui assénant une troisième gifle d’une violence rare. Le détenu cherche à se protéger avec ses mains comme il peut, il se sent menacé. Il a le malheur de lever la main pour se défendre. Les agents n’attendaient que cela pour lui tomber dessus. Ils l’immobilisent au sol, quelques coups de poing ont été donnés au préalable. Une fois au sol et maîtrisé, c’est encore des coups de pieds dans les côtes qui lui sont infligés. C’est insupportable de voir un homme se faire tabasser au sol. Eux y prennent un malin plaisir, tout comme de leur marcher sur la tête avec leurs rangers ! Combien de fois ces scènes se répètent ? Pour certains, c’est mieux que la PlayStation. Affligeant ! En prenant mon service, des détenus se sont plaints au surveillant du matin. ‘‘Il est fou ce surveillant, on n’a jamais vu ça, il n’y a qu’ici que cela existe, il provoque. Pourquoi ?’’
Les détenus disaient : ‘‘Ici, t’es à Liancourt, c’est pas comme ailleurs. Ne réponds pas aux surveillants, où il t’arrivera malheur.’’
Une semaine après, un accrochage avait lieu avec ce même surveillant. Il soutenait qu’un détenu lui avait balancé la télé à la tête parce qu’elle ne marchait pas. Une intervention musclée avait suivi. D’après mes collègues, il fallait calmer ce détenu et lui donner une leçon car il commençait à se mettre trop à son aise. Il a reçu une leçon d’humiliation, porté au mitard en caleçon et pieds nus. Une heure après les faits, celui-ci sortait du mitard. Arrivé à mon tour, je lui demande ce qu’il s’était passé. Celui-ci affirme qu’il n’avait rien compris à tout ce qui s’était déroulé, qu’il avait juste posé sa télé à ses pieds pour la montrer au surveillant. Après coup, j’ai vu que le surveillant n’était pas à l’aise, peu fier de ce qu’il avait provoqué et confiait à son chef qu’il avait peur de retrouver celui-ci à son étage à présent. En attendant, son compte-rendu était faux. Combien de fois ceux-ci sont arrangés ou bien modifiés par le chef pour dissimuler tout acte de violence, ou bien accabler le détenu de charges excessives pour augmenter la durée de sa peine ? D’ailleurs lorsqu’un détenu qu’ils n’aiment pas est proche de sa libération, ils essayent tout pour le provoquer et lui coller une agression sur le personnel afin de prolonger son séjour chez eux. La terreur règne dans cette maison d’arrêt, tout détenu qui y entre est mis au parfum par les autres détenus : ‘‘Ici, t’es à Liancourt, c’est pas comme ailleurs. Ne réponds pas aux surveillants, où il t’arrivera malheur.’’
Certains surveillants cherchent sans cesse une victime pour se défouler. Ils me disent : ‘‘Celui-ci, il faut que je me le fasse’’, ou bien : ‘‘Laisse-le moi, il est pour moi.’’
Leur truc, c’est de cogner, de faire régner l’ordre et la terreur parmi les détenus. Un jour, le chef m’a dit : ‘‘Il t’embête ? Tu peux le cogner, tu as mon autorisation.’’ Une heure après : ‘‘Alors, tu l’as cogné ?’’ Si ce n’est pas de l’incitation, cela y ressemble terriblement… Combien de jeunes surveillants se laissent prendre au piège ? Mais lorsqu’il faudra rendre des comptes, chacun prendra ses responsabilités, je l’espère, à la faveur d’un climat plus serein sur cette prison qui est mon lieu de travail. Travail que j’exerce au mieux, malgré les difficultés rencontrées pour faire respecter les règles tout en veillant aux droits que chacun doit avoir, même en milieu carcéral. Il est alors possible de parler de réinsertion dans la vie sociale pour chaque détenu.
Lors d’interventions et de mises en prévention, il m’est arrivé d’emmener le détenu au quartier disciplinaire. Combien de fois j’ai vu mes collègues surveillants faire des clés de bras appuyées pour faire mal, ou bien volontairement cogner la tête du détenu contre les grilles pendant son trajet au quartier disciplinaire ? Certains ont tendance à se considérer comme des héros, à faire du zèle dans ces moments-là. Ils sont pourtant tout l’inverse. Jusqu’au bout, le détenu souffre. Et lorsqu’il arrive en cellule disciplinaire, son épreuve n’est pas finie : d’autres surveillants montent au quartier pour frapper le détenu. (…) L’ensemble de ces comportements est contraire à l’enseignement que nous avons reçu, mes collègues et moi, à l’École nationale de l’administration pénitentiaire, contraire aux valeurs morales exigées lors des différents tests subis par les candidats au poste de surveillant pénitentiaire. J’atteste que les éléments énoncés ci-dessus sont réels, motivés et sincères. »
Par François Bès
* Le prénom a été modifié.