« Je m’étais adressée à vous pour vous expliquer la situation douloureuse que mon fils, Frédéric, traversait avec ses problèmes de dos. Frédéric ne supportait plus le bruit, la pression, et pour tout vous dire, il n’en pouvait plus de son emprisonnement. Je vous précise que Frédéric purgeait une peine de dix ans. Il a été incarcéré quand il avait tout juste 18 ans. Depuis son enfance, j’ai toujours accompagné mon fils dans un processus de soin car il souffrait d’un TDAH [trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité]. Trouver des professionnels sensibles et formés à cette pathologie s’est révélé un véritable parcours du combattant à l’extérieur. L’environnement carcéral, dans toute sa dureté et sa méconnaissance, ne peut envisager la complexité de sa pathologie. Au contraire, il exerce des répressions qui sont opposées au système de récompense et d’encouragement préconisé pour que la personne porteuse d’un TDAH sorte du cercle de frustrations et de difficultés. Les efforts que Frédéric parvenait à déployer n’étaient jamais reconnus. Évidemment, il présentait de nombreux incidents disciplinaires, il a été plusieurs fois au « mitard ». Les CRP [crédits de réduction de peine] étaient retirés, les jours et les mois de détention ajoutés, dans une répétition cruelle et infernale.
Le SMPR [service médico-psychologique régional] où il a été placé s’est vite révélé anxiogène, à cause des détenus aux problèmes psychiatriques encore plus marqués. Frédéric m’avait demandé de lui apporter des CD de musique de relaxation pour tenter de s’apaiser un peu. Après un accès de colère et d’angoisse, il a fini par revenir dans sa cellule. Il ne participait pas aux promenades pour ne pas rencontrer de souci avec les autres détenus. Il m’avait dit aussi, à plusieurs reprises, avoir peur en raison de menaces, insistantes. Malgré la désignation du Docteur C. et les courriers que je lui ai adressés, il n’y a pas eu d’extraction pour passer les examens nécessaires pour ses douleurs de dos. Il a passé toute sa détention sans avoir une réponse positive à ses nombreuses demandes de permission, toutes refusées les unes après les autres par le Jap [juge de l’application des peines], alors qu’elles auraient permis une petite échappée indispensable. J’avais contacté la CPIP [conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation] qui le suivait pour lui exposer clairement que mon fils était à bout, qu’il n’arrivait plus à supporter et que je tiendrais la détention pour responsable s’il lui arrivait quoi que ce soit. Frédéric me parlait de sa volonté de sortir, de ne plus jamais remettre les pieds en prison, de trouver du travail et de passer son permis de conduire – il venait de faire une demande pour le code.
Le 24 septembre 2021, alors qu’il ne pensait pas que sa peine dépasserait trois mois, il a été condamné à six mois après un incident en prison, sans pouvoir bénéficier d’un aménagement de peine ab initio. Ce fut trop pour lui. Dans son désespoir, face à un enfermement qui se prolongeait encore et une situation qui lui paraissait insurmontable, le 9 octobre, il a lancé un appel au secours en cherchant à se couper les veines. Il a été amené aux urgences où il a passé une nuit en dormant sur un meilleur matelas. Le jeudi 14 octobre, il a recommencé, mais cette fois, il n’a pas quitté le centre de détention. Vu par le psychiatre, il a été jugé apte à rester dans sa cellule. Je me questionne sur le manque de vigilance et d’attention par rapport à son état psychologique. Je l’ai vu une dernière fois au parloir les quarante minutes officielles, le vendredi 15 octobre. Pas préparée car pas avertie de son désarroi, je l’ai entouré comme j’ai pu de mon amour de maman, avec les mesures du Covid en vigueur. Le samedi 16 octobre, Frédéric nous a appelés pour que nous lui souhaitions son anniversaire et ses 29 ans. Dans la nuit du 16 au 17 octobre, il s’est suicidé par strangulation… Il s’est libéré tout seul avec toute sa peine, sa douleur, sa peur, sa détresse. Il est entré en prison et n’en est jamais ressorti, il n’a jamais revu son foyer.
Je me demande sincèrement comment mon fils, avec toute sa problématique, a pu tenir tout ce temps. J’exprime ma fierté et mon admiration devant son courage, lui qui a toujours refusé de s’abaisser, de rentrer dans l’ignoble système de « balance » tant en vigueur dans le milieu carcéral, lui qui à chaque incident disciplinaire, avec toute sa franchise, reconnaissait toujours les faits et ses erreurs mais réfutait les éléments mensongers, lui, qui sous pression pouvait proférer des insultes mais à chaque fois s’excusait de son débordement. Je me dois de réagir pour honorer la mémoire de mon fils et lui rendre hommage.
J’éprouve le sentiment que Frédéric est parti incompris, dans l’indifférence générale d’un dossier que l’on ferme. Sa CPIP, rencontrée quand je suis allée chercher ses affaires, m’a dit que c’était « un échec » pour elle. Un échec… quand pour moi c’est une tragédie, et que le nom de Frédéric se rajoute aux autres détenus qui se sont suicidés dans cet établissement. »
Extraits d’un courrier reçu le 2 février à l’OIP.