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Violences à Villefranche : « On lui a fait payer le fait d’avoir parlé »

Le 8 décembre 2017, Esther Benbassa, sénatrice EELV, effectue une visite surprise à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône. Accompagnée de l’équipe de direction, elle se rend au quartier disciplinaire, où un détenu l’interpelle, dénonçant les violences commises par des membres du personnel sur les personnes détenues. Une prise de parole qui ne sera pas sans conséquences. Un soignant, présent les jours suivant cette visite, témoigne des représailles dont ce détenu a été victime.

« Ce jour-là, nous sommes appelés pour une tentative de suicide par pendaison au quartier disciplinaire. Nous prenons alors en charge Monsieur G., un jeune homme suivi par notre équipe. Nous sommes au surlendemain d’une visite parlementaire surprise à la maison d’arrêt (lire l’encadré ci-dessous).

Une fois au service médical, le patient exprime un mal-être important. Il nous raconte que, devant la sénatrice et les journalistes en visite, devant toute la direction ou presque, il a « osé l’ouvrir » pour dénoncer les conditions de détention et les violences subies par les détenus. Des articles parus dans le journal Le Progrès ont repris ses propos et, depuis, il dit être sous pression : si certains surveillants approuvent son geste, d’autres pas du tout. Il nous dit ne plus en pouvoir et demande à être mis en sécurité. Son discours est désespéré, les marques sur son cou me font peur : tout atteste de son besoin de prise en charge immédiate.

La situation est difficile ce jour-là, nous avons beaucoup d’urgences à gérer. Il n’y a pas d’escorte disponible pour qu’il soit extrait, la chambre sécurisée[1] est occupée… bref, il n’y a aucune possibilité de l’envoyer à l’hôpital. À défaut, nous demandons une sortie du quartier disciplinaire pour un retour en détention normale. Après des soins, une consultation et un entretien avec un infirmier psy, Monsieur G. quitte le service. Nous convenons avec lui qu’un ou une infirmière passera le voir au moment de la distribution des médicaments.

Quand, à 13h30, nous arrivons en détention, à l’étage, quelqu’un hurle et frappe à la porte d’une cellule. Aucun surveillant n’est présent sur la coursive. Je fais appeler un agent. Lorsqu’il ouvre la porte, je découvre Monsieur G. vêtu d’un pyjama déchirable[2], pieds nus. Il a été placé dans une cellule dans laquelle l’eau est coupée, le WC ne fonctionne pas, la fenêtre est cassée. Nous sommes au mois de décembre. Il y du sang partout au sol : celui du précédent occupant, qui s’est auto-mutilé.

Monsieur G. a faim, froid, il est en colère. Il dit qu’on lui fait payer le fait d’avoir parlé, il pleure et nous demande de l’aide. Il est prêt à tout pour sortir de là, menace de commettre une agression s’il le faut. Je m’engage à solliciter l’aide de ma direction dans la journée pour faire cesser au plus vite cette situation. Le détenu s’apaise. Un agent nous dit qu’il va faire le nécessaire afin qu’il puisse avoir une couverture supplémentaire.

Face au constat d’une situation de maltraitance grave faisant suite à un passage à l’acte suicidaire, nous proposons, avec l’équipe médicale, un placement en cellule de protection d’urgence[3] afin de faire sortir monsieur G. de la cellule où il est confiné et de veiller à ce qu’il soit suivi. Ce placement est refusé par l’administration pénitentiaire.  « S’il est pipelette, c’est qu’il n’est pas suicidaire » : voilà les termes employés.

Désemparés, nous signalons la situation à notre hiérarchie. Je retourne pour la dernière fois de la journée en détention et explique à Monsieur G. notre impuissance. Je m’engage à lui rendre visite dès mon arrivée le lendemain.

Le lendemain matin, lors d’une réunion pluridisciplinaire avec l’administration pénitentiaire, en présence du chef d’établissement, j’évoque cette situation. On me rétorque que monsieur G. aurait dû prendre la mesure de ses actes et n’a pas à se plaindre des conséquences. Je suis seule face à un auditoire qui ne semble pas mesurer la gravité de la situation.

À la sortie de cette réunion, je fais venir Monsieur G. à l’unité sanitaire. Il arrive en claquant des dents, il a les lèvres violettes, il est en hypothermie, il pleure et n’arrive pas à parler tellement il a froid et faim. Je suis en colère et sous le choc. Ma première réaction est de répondre à ses besoins essentiels : je lui donne du linge, à manger, lui propose de se laver, de se réchauffer.

Nous avons ensuite une longue conversation qui m’a marquée. Comment aider quelqu’un qui vient de vivre l’insupportable ? Comment rentrer chez soi en sachant ce qui est en train de se passer ? Cette situation a été le début d’un questionnement, pour moi, sur la situation dans les prisons. La détention doit-elle être une sanction dont on garde les traumatismes dans son esprit et son corps ?

Par la suite, j’ai eu des réunions avec la hiérarchie de mon hôpital. Tout le monde a salué notre prise en charge, mais rien de plus. L’amélioration des conditions de détention n’incombe pas à l’hôpital. « C’est à l’administration pénitentiaire de faire le nécessaire. » Bien que réaliste, cette réponse n’est pas satisfaisante. C’est pourquoi je témoigne aujourd’hui, pour monsieur G., pour tous les autres, pour que cela ne puisse pas se reproduire. »

Recueilli par Charline Becker


A l’origine – C’est au moment où la sénatrice, accompagnée du directeur de l’établissement, de membres de la direction et de journalistes, arrive au quartier disciplinaire (QD), que Monsieur G., placé au quartier disciplinaire, interpelle le directeur, M. Schots : « C’est vous le directeur ? Je suis là depuis un an, je ne vous avais jamais vu ! Ah par contre, je vous ai vu dans les journaux, vous avez frappé un détenu ! » Le directeur a en effet été accusé d’avoir, en avril 2017, porté plusieurs coups à un détenu. Monsieur G. poursuit : « Ici les gardiens sont violents, la violence c’est tous les jours à Villefranche »[4]. Face à ces accusations, le directeur coupe court : l’affaire le concernant a été classée, quant aux violences exercées par le personnel pénitentiaire, les détenus sont libres d’écrire au procureur en toute confidentialité pour porter plainte.


[1] Chambre sécurisée de l’hôpital de rattachement.
[2] Pyjama déchirable anti-suicide.
[3] Cellule réservée en cas de risque de passage à l’acte suicidaire imminent. Équipée du strict minimum, elle est dépourvue de points d’accroche pour limiter les risques de pendaison.
[4] Paul Aveline, « Dans la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône, “la violence, c’est tous les jours” », Buzzfeed, 11 décembre 2017.