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Sous bracelet GPS, « on quitte une prison pour une autre »

Condamné à dix-huit ans de détention, Jean sort en 2015, avec ses remises de peine. Pendant cinq ans, il est placé sous surveillance électronique mobile (Psem), dans le cadre d’une surveillance judiciaire. En dehors des murs de la prison, il espère reconstruire sa vie, malgré son passé. Mais il voit toutes les portes se fermer : logement, travail et vie sociale.

« J’ai passé douze ans en prison pour agressions sexuelles sur mineurs. À ma sortie, je n’ai trouvé qu’une chambre meublée de 16 m2 dans un foyer, et j’y suis toujours. Au début, je pensais pouvoir en partir assez rapidement, travailler, avoir une vie sociale. Ça a été tout le contraire. Je suis bloqué depuis six ans dans cette chambre. J’ai quatre murs, un lit, une fenêtre, une porte et j’ai toujours l’impression d’être en prison.

J’ai fait plusieurs demandes de logement social, mais la juge de l’application des peines (Jap) me bloque. Dès que je trouve un logement, il y a toujours quelque chose qui ne va pas. En 2014, j’avais fait une demande de libération conditionnelle. Elle m’avait été refusée, parce que le logement que j’avais trouvé était à 300 mètres d’une école. Mais le procureur a fait appel, et on m’a finalement permis de sortir sous Psem. J’ai accepté de prendre un traitement hormonal et je devais voir un psychiatre tous les trois mois. Au début, quand on a défini mon périmètre, je pouvais aller jusqu’à la boîte aux lettres et jusqu’au garage à vélo du foyer. Mais je ne pouvais pas mettre une chaise sur la pelouse, dans la cour, ça je ne pouvais pas.

Une fois j’ai oublié de brancher mon traqueur. Ça arrive parfois d’être tête en l’air. Je suis sorti, mais je ne suis pas allé loin, j’ai fait cent mètres, même pas. Après ça, ils ont réduit mon périmètre, encore. Le gars qui est venu le régler n’a pas voulu me laisser sortir de ma chambre, alors que les sanitaires sont sur le palier ! Pendant trois mois, ça a été une galère… Ils me téléphonaient à chaque fois que je sortais de ma chambre pour prendre ma douche ou aller aux toilettes.

Traqué partout, tout le temps

Quand j’étais sous bracelet, je pouvais sortir de 8 h à 14 h du lundi au vendredi, et de 14 h à 18 h le samedi. Le dimanche, je ne pouvais pas sortir du tout, même pour aller chercher mon pain. La moindre sortie avec mon bracelet était toujours très stressante. Quand j’étais en voiture, je redoutais qu’il y ait des embouteillages, ou quand j’étais en bus, qu’il ait du retard – parce qu’à 14 h, si l’on n’est pas rentré, l’alarme se met en route, et il faut se justifier. Et comment se justifier quand le car est en retard ?

Quand j’allais dans des magasins, l’alarme se déclenchait au bout d’une demi-heure. Le traqueur est connecté en 2G, il ne capte pas bien. Donc je faisais mes courses, et au bout d’une demi-heure, j’étais obligé de sortir du magasin. Si le centre de surveillance n’arrivait pas à me joindre sur le traqueur, il m’appelait sur mon téléphone. Ça m’est arrivé plusieurs fois, aussi, d’aller marcher dehors, et que le traqueur me perde. Donc le centre de surveillance m’appelait. Je leur répondais : « Ah mais non, c’est pas possible, je suis dehors, vous ne pouvez pas m’avoir perdu ! Je peux quand même faire une demi-heure de marche ! » Mais le traqueur, il vous perd très, très souvent. On m’appelait aussi quand je restais assis trop longtemps sur un banc dehors. Quand j’étais trop statique, on me disait que c’était « suspicieux »…

Mes frères dorment chez moi quand ils viennent me rendre visite. J’ai acheté des chauffeuses, pour qu’ils ne fassent pas la route la nuit, ils ont plus de 70 ans quand même. Mais même quand on était tranquillement chez moi, le traqueur s’allumait. Parfois plusieurs fois dans la nuit, à minuit, à une heure, à cinq heures, la pièce était éclairée comme si on était en plein jour, pendant cinq ou dix minutes. Ils veulent nous montrer qu’on est toujours sous surveillance, toujours coupable. Vous quittez une prison pour une autre, en fin de compte.

Un an après ma sortie, j’allais souvent aux marais. C’est un endroit avec des lacs, des pêcheurs, et des jeux. Je commençais à me faire quelques relations sociales, quelques amis. Quand ils ont renouvelé le bracelet en 2017, ils m’ont interdit d’y aller. Alors que je ne faisais rien de mal, rien d’autre que de discuter avec des adultes. Donc j’ai commencé à aller dans un autre parc, où il y avait un grand étang, des gens qui faisaient du ski nautique. On me l’a interdit aussi.

« Vous n’avez aucune chance de trouver quoi que ce soit »

En sortant, j’ai commencé à faire des démarches pour travailler, mais tout m’a été refusé. Il faut dire que je ne suis pas tout jeune, quand je suis sorti j’avais 58 ans quand même. J’ai cherché dans des entreprises d’insertion, il y en avait dans les environs. Mais elles m’ont toutes refusé, parce que j’avais le bracelet. Bien sûr ça n’est pas dit ; on est refusé mais on ne sait pas pourquoi.

Les entreprises ont peur que le traqueur se mette à sonner, s’il ne capte plus et que vous êtes avec des gens, des clients par exemple… Quand je suis allé à Pôle emploi, le conseiller m’a dit « de toute manière, avec votre bracelet, vous n’avez aucune chance de trouver quoi que ce soit. » Il a essayé de m’aider. Comme je suis sourd à 50 % et que j’ai des problèmes de dos, on a monté un dossier pour me faire reconnaître travailleur handicapé, mais j’ai quand même été refusé. Tout ce que je peux faire aujourd’hui, c’est du bénévolat. Ça fait presque quatre ans que je suis bénévole à la Banque alimentaire, là j’ai ma place… ce n’est que trois jours par mois, ce n’est pas beaucoup. Mais c’est moi qui ai fait toutes les démarches pour trouver quelque chose.

Le traqueur, c’est une vraie torture psychologique, ça vous rappelle toujours que vous êtes aux mains de la justice, que vous êtes repéré où que vous alliez, quoi que vous fassiez. En avril 2020, on m’a retiré le bracelet. Depuis quatorze mois, je pourrais sortir l’après-midi… mais je n’y arrive pas ! Je n’arrive pas à me défaire de cette habitude, de ce ressenti… même dans mes rêves, je me vois toujours dans une prison.

J’ai terminé ma surveillance judiciaire, mais j’ai encore un suivi socio-judiciaire jusqu’en 2025. J’ai demandé l’autorisation d’aller dans les départements qui me sont interdits depuis ma sortie, et la possibilité d’y prendre un logement plus facilement, près de ma famille. Mon avocat pense que j’ai de bonnes chances de réussir. Mais je suis plus prudent, étant donné ce par quoi je suis passé. Je peux rester bloqué ici pendant encore quatre ans. Moi ce que je veux, c’est juste prendre un logement décent, rien d’autre. Quand vous sortez de votre détention, le fait d’avoir accepté votre peine, c’est déjà un pas vers la reconstruction. On devrait pouvoir vivre un peu, avancer dans la vie. Moi je n’ai pas l’impression de vivre, j’ai l’impression de survivre, comme un chien qui essaie de sortir de l’eau, j’ai cette impression de toujours me débattre. Quand j’avais le bracelet, je pensais à me suicider. Je me promenais au parc, je regardais les arbres pour voir s’ils allaient supporter mon poids. Même si je suis sorti depuis six ans, j’ai toujours l’impression d’être moins que rien, d’être coupable, alors que je ne fais plus rien de mal. »

recueilli par Pauline Petitot


Une mesure potentiellement infinie fondée sur un « risque »
Le placement sous surveillance électronique mobile est une mesure de sûreté créée en 2005 à destination des sortants de prison présentant un profil estimé « dangereux », avec un risque de récidive élevé, qui repose sur un système de géolocalisation en temps réel. Dans la plupart des cas, il est adossé à une autre mesure de sûreté – surveillance judiciaire (environ 60% des 357 Psem prononcés entre 2006 et 2020) ou surveillance de sûreté (5 %) –, mais il peut également assortir une peine de suivi socio-judiciaire (15 %) ou un aménagement de peine sous forme de libération conditionnelle (6 %). En se surajoutant à une peine de prison – qui plus est souvent longue – cette mesure vient donc prolonger la contrainte sur les condamnés. Imposée par la justice non pas sur le fondement de la culpabilité, mais sur la présomption d’une infraction future, elle peut en outre – dans le cadre de la surveillance de sureté – être renouvelée tant que perdure la « dangerosité » estimée – autrement dit, indéfiniment.
Beaucoup plus intrusif que le système de surveillance fixe, le Psem permet aux autorités de suivre la personne à la trace, et ainsi de contrôler qu’elle respecte ses obligations et interdictions judiciaires et ses zones d’assignation (où elle doit se trouver à certaines heures, généralement le domicile et le travail), d’exclusion (dans lesquelles elle ne peut se rendre : domicile de la victime ou lieux « sensibles » comme les écoles lorsque la personne a été condamnée pour une infraction sur mineur) ou « tampons » (situées autour des zones d’exclusion ; l’entrée dans ces zones déclenche l’émission d’un SMS sur le boîtier, et alerte les autorités judiciaires).
Si la mesure est formellement soumise au consentement de la personne, un refus mène généralement, au même titre que le non-respect des obligations liées au Psem, à l’incarcération ou au placement en rétention de sûreté. —Prune Missoffe et Laure Anelli

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