En cas de décès ou d’hospitalisation, l’administration pénitentiaire est tenue d’en informer les proches au plus vite et de répondre à leurs questions, souvent nombreuses. Une obligation légale que tous les chefs d’établissement ne respectent pas : il arrive régulièrement que ces annonces soient retardées et que les explications attendues n’arrivent jamais.
Le 11 janvier 2022, en début d’après-midi, Mme Sanha se rend au tribunal pour assister à l’audience de son fils Théo, incarcéré à la prison de Fresnes. À l’heure où son affaire doit être examinée, la magistrate annonce : « Le jugement n’aura pas lieu car le prévenu a été retrouvé mort dans sa cellule. » Théo est décédé le matin même – et aucun de ses proches n’en est alors informé. Sous le choc, Mme Sanha s’évanouit.
Le cas de Théo Sanha n’est pas isolé. En 2020, à Perpignan, une femme a ainsi appris le décès de son conjoint, Toufik Belrithri, vingt-trois jours après sa mort. Il avait été transféré à l’hôpital quatre jours avant son décès, sans que personne ne prévienne la famille de cette hospitalisation. Fin 2021, la famille de John S., incarcéré à la prison de Joux-La-Ville, a vécu un scénario similaire. Le 11 décembre, John, 52 ans, est hospitalisé en état de mort cérébrale. Selon ses proches, ce n’est pourtant que cinq jours plus tard qu’ils en ont été avertis. John décédera le lendemain. « Je ne sais pas exactement comment ça s’est passé. Il est resté tout ce temps en réanimation sans qu’ils ne nous le disent. Quand nous sommes arrivés, ils nous ont dit qu’il fallait le débrancher, qu’il n’y avait plus rien à faire. Même s’il n’y avait rien à faire depuis le début, ils auraient pu nous prévenir plus tôt. Une personne en réanimation ne va pas s’évader. Ils l’ont gardé comme ça pendant cinq jours, je ne comprends pas », témoigne sa compagne.
En cas de décès accidentel en détention ou d’accident grave, l’administration pénitentiaire est pourtant tenue d’avertir « rapidement » les proches et d’« éviter tout retard qui pourrait être mal interprété ». Aucun cadre légal ne définit cependant cette durée, qui se compte alors parfois en jours, voire en semaines.
Entre incertitudes et fausses informations
Lorsque l’administration pénitentiaire tarde à prévenir les proches, il arrive que ces derniers soient informés par des tiers, parfois de manière fortuite. « Un soir, sur Twitter, j’ai vu passer un article d’Ouest France, se souvient une avocate. Un détenu de 24 ans aurait mis le feu à sa cellule et serait hospitalisé, sévèrement brûlé. Âge, tentatives d’incendie antérieures… je pense reconnaître un client, que j’avais trouvé très déprimé lors d’un parloir quelques jours avant. J’appelle la prison d’Angers dès le lendemain, qui me confirme que c’est bien lui. Sa famille n’était pas au courant : c’est moi qui ai dû les prévenir, se souvient-elle, amère. Ils n’ont reçu un coup de fil de la prison que six jours après ! » Dans le cas de Perpignan en 2020, ce sont deux codétenus en permission de sortir qui alertent la famille de Toufik(1). Lorsqu’elle appelle le service pénitentiaire d’insertion et de probation, on lui affirme pourtant que tout va bien, qu’il s’agit de rumeurs infondées. Toufik est alors décédé depuis douze jours.
À Villefranche-sur-Saône, en début d’année, c’est également par des codétenus qu’une compagne sera avertie de l’hospitalisation de son conjoint dans un état grave. Le dimanche 2 janvier 2022, elle reçoit un premier appel d’un codétenu qui l’informe que son compagnon, Yassine, vient d’être emmené par les pompiers et lui parle « d’un arrêt cardiaque ». Incrédule, croyant presque à un canular, elle reçoit un second appel qui reprend ces faits ; l’inquiétude s’installe. Sans nouvelle de la prison, elle appelle les hôpitaux de la région. L’un d’entre eux lui confirme l’hospitalisation de son conjoint et lui indique qu’il se trouve dans un état grave. Lorsqu’elle parvient à contacter la prison, le lundi matin, la conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (Cpip) de Yassine n’est au courant de rien.
Ces versions contradictoires données aux familles peuvent en partie s’expliquer par la hiérarchie et le cloisonnement strict qui prévalent au sein de l’administration pénitentiaire. « Nous sommes compétents pour informer les détenus de ce qui arrive à leurs proches dehors, accidents, naissances, décès, etc. Mais pas forcément pour l’inverse, lorsque c’est à la personne détenue à qui il arrive quelque chose. Cela relève alors plutôt de la direction, explique une Cpip. Or, quand les familles appellent les prisons pour se renseigner, c’est systématique : on nous transmet l’appel, même si on n’est pas compétent. En plus, parfois, les infos mettent du temps à remonter de la détention jusqu’à nous. C’est un ping-pong extrêmement maltraitant pour les familles. »
Manque d’explications et de considération
Par ailleurs, lorsqu’une personne meurt en prison, obtenir des explications peut certaines fois relever du parcours du combattant pour les proches. Lorsque Yassine décède, le lendemain de son hospitalisation, c’est l’hôpital qui avertit sa compagne. La direction de la prison, elle, ne la contactera que le lendemain soir – lui présentant en quelques mots ses condoléances, sans la moindre explication sur le déroulement des faits. Ce sera sa seule interaction avec la direction : aucune autre information ne lui sera fournie par la suite. Comme d’autres familles endeuillées avant elle, elle ne compte plus que sur la plainte déposée contre la prison pour obtenir des éléments supplémentaires(2).
Le cadre légal est pourtant clair : en cas de décès en détention ou d’hospitalisation, les proches sont en droit d’obtenir des renseignements. Lorsque la mort est accidentelle, un entretien doit être accordé aux proches s’ils en font la demande. Une circulaire de 1981(3) insiste « sur la nécessité de ne jamais laisser une demande de cette nature (…) sans réponse, ainsi que sur celle d’y répondre dans les meilleurs délais. » Le texte recommande en outre aux chefs d’établissement d’adopter « une attitude particulièrement patiente et compréhensive » à l’égard des proches et invite à éviter les attitudes ou propos qui pourraient donner « un sentiment d’indifférence ou d’absence de considération ». Le tout, afin de ne pas « faire naître ou développer chez eux une certaine animosité contre l’administration ». Lorsqu’il s’agit d’un suicide, le cadre est plus contraignant encore : dans ces cas-là, un entretien doit être proposé de manière systématique aux proches dans les meilleurs délais – si possible le lendemain. Et si elle est « compatible avec la nécessité de maintenir l’ordre public »(4), une visite doit être proposée dans la cellule du défunt.
À la prison de Joux-la-Ville, depuis le décès de John, deux courriers de l’OIP demandant à ce que les proches soient reçus ainsi que sept fax de leur avocat sont restés lettre morte. Le silence de la direction de l’établissement a amené Me Ciaudo, à déposer le 22 février un référé-liberté, afin que le juge administratif enjoigne à la direction de recevoir la famille de John. Si le tribunal a reconnu qu’ « en l’absence de toute considération humanitaire de la part de l’administration, le déroulement de ces événements prive [les proches] de toute possibilité de faire le deuil et enfin, que l’absence de réponse à leur questionnement accroît leur malheur et suscite des spéculations », il a néanmoins trié la requête dès le 23 février, sans même l’audiencer. « Pour malheureuses et regrettables qu’elles soient », ces circonstances « ne sont pas de nature à caractériser une urgence », a-t-il tranché, sans plus de considération pour l’« exigence d’humanité » mise en avant par la circulaire de 1981. Ce n’est qu’après ce recours et la publication d’un communiqué de presse de l’OIP dénonçant cette situation que le chef d’établissement a fini par écrire à l’avocat de la famille pour lui indiquer qu’il se tenait à sa disposition pour échanger, si elle le souhaitait toujours.
Par Charline Becker
(1) « Perpignan : la famille d’un détenu apprend son décès 23 jours plus tard », La Dépêche, 15 novembre 2020.
(2) « Un impossible deuil », OIP, Dedans Dehors n°101, octobre 2018.
(3) Circulaire du 12 mai 1981 sur les relations entre l’administration et les proches d’un détenu malade ou décédé.
(4) Circulaire DGS/ SD6C n° 2002-258 du 6 avril 2002 relative à la prévention des suicides dans les établissements pénitentiaires.