Tutéhau Bea, 59 ans, était incarcéré à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré. Atteint d’un cancer, il est décédé le 28 octobre 2014 à l’unité hospitalière sécurisée (UHSI) de Bordeaux. Il n’avait pas voulu demander une suspension de peine médicale, si bien que l’administration pénitentiaire et les soignants l’ont laissé mourir sous écrou.
D’origine tahitienne, Monsieur Bea purgeait sa peine en métropole. A l’instar de nombreux ultra-marins condamnés à une très longue peine, souvent contraints de l’exécuter dans l’Hexagone, les établissements pour peine de l’Outre-mer étant pour la plupart extrêmement surpeuplés. Comme plus des trois quarts de la population pénale de Saint-Martin-de-Ré, Tutéhau Bea ne recevait aucune visite ni courrier. Aucun lien familial ne lui était connu, ni aucun contact avec l’extérieur. Seul, Monsieur Bea n’avait pas essayé d’obtenir une suspension de peine pour raison médicale, dispositif permettant aux détenus dont le pronostic vital est engagé de finir leurs jours en liberté.
Atteint d’un cancer en phase terminale, il avait rédigé « des directives anticipées » afin de « mourir à proximité de ses camarades en détention et de ses objets personnels ». Sa famille, c’était eux. « Il a souhaité leur dire adieu et distribuer ses objets personnels à ses amis codétenus » explique l’Agence régionale de santé. Sa volonté de mourir auprès de ses codétenus n’a néanmoins pas été respectée.
Prendre l’air à l’ombre
Suite à une aggravation soudaine de son état de santé, il a été hospitalisé en urgence le samedi 25 octobre dans une unité hospitalière sécurisée (UHSI). Il y était régulièrement suivi et venait d’y être hospitalisé une dernière fois entre le 20 juin et le 20 octobre. Il avait à ce moment émis le souhait de retourner dans sa cellule de l’île de Ré, pour « prendre l’air », disait-il à l’équipe médicale. Une nouvelle hospitalisation en soins palliatifs avait alors été planifiée pour début novembre.
En détention, sa maladie était connue de tous… ou presque. Un codétenu le décrit dans un courrier comme « morbide », ayant des « difficultés pour marcher seul et pour manger ». « Il respir [ait] la mort », confie-t-il. C’est ce même détenu qui a alerté son avocat quand Tutéhau Bea a passé toute la journée du 23 octobre sans bouger de son lit. Ses codétenus ont alors pu bénéficier d’un « dispositif dérogatoire » de « visites organisées » dans sa cellule afin de le veiller jusqu’à son départ à l’UHSI. Ils avaient auparavant menacé de bloquer la cour de promenade, face à sa situation alarmante.
L’unité sanitaire n’a jamais établi par certificat que le pronostic vital de Monsieur Bea était engagé, ni jugé nécessaire d’alerter les autorités judiciaires. C’est donc avec surprise que la juge de l’application des peines de la Rochelle a appris son décès, quand l’OIP l’a saisie. Elle a alors trouvé « curieux » que « personne n’ait attiré [son] attention sur [sa] situation », côté médical ou pénitentiaire.
Monsieur Bea avait demandé à être incinéré et que ses cendres soient dispersées dans les îles du Pacifique. Impossible néanmoins de savoir si cette dernière volonté du détenu a été mise œuvre. Selon l’Agence régionale de santé, la responsabilité en revenait à l’UHSI. Laquelle estime n’avoir « pas d’obligation concernant la dispersion des cendres de M. Bea » et renvoie la question à l’administration pénitentiaire.
Delphine Payen-Fourment