Dans une décision du 19 octobre 2020, le Conseil d’État confirme l’inhumanité des conditions de détention à la prison de Nouméa (Nouvelle-Calédonie), et prescrit à l’administration plusieurs actions pour améliorer la situation. Mais, malgré la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour l’indignité de ses conditions de détention, la haute juridiction maintient son refus d’ordonner en référé des mesures et travaux « structurels » qui, seuls, permettraient de remédier aux mauvais traitements constatés.
Dans des recommandations en urgence publiées le 18 décembre 2019, la Contrôleure général des lieux de privation de liberté s’alarmait de ce que les conditions de détention du centre de détention de Nouméa méconnaissaient « gravement les droits fondamentaux des personnes détenues ». Sur recours de l’OIP-SF, le juge des référés du tribunal administratif de Nouméa constatait l’inhumanité de ces conditions d’incarcération dans une ordonnance du 19 février 2020, et enjoignait à l’administration d’engager différentes actions pour améliorer la situation. Estimant les mesures prescrites insuffisantes, l’OIP saisissait le Conseil d’État en appel. Mais alors que les procédures d’appel en référé-liberté sont habituellement jugées en quelques jours, il aura fallu attendre près de huit mois avant que le Conseil d’État ne rende sa décision. Ce manque d’empressement n’est sans doute pas étranger au contexte de la saisine de la haute juridiction : dans un arrêt du 30 janvier 2020, la France était condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour l’indignité des conditions de détention dans six prisons françaises mais aussi pour ne pas offrir aux personnes détenues un recours effectif contre ces conditions d’incarcération dégradantes. Or le constat européen de l’ineffectivité des voies de recours internes reposait principalement sur une critique des pouvoirs limités du juge administratif des référés… et appelait donc à un renforcement notable de ces pouvoirs.
Dans sa décision du 19 octobre 2020, le Conseil d’État confirme en appel le constat alarmant du premier juge sur l’indignité profonde des conditions de détention de la prison de Nouméa. Et complète la liste des actions qu’il revient à l’administration d’engager « dans les plus brefs délais » en enjoignant à cette dernière de « procéder à l’installation d’abris dans les cours de promenade », « d’assurer la séparation des annexes sanitaires dans l’ensemble des cellules où sont détenues plus d’une personne », de « prendre toute mesure susceptible d’améliorer la luminosité des cellules » et de « procéder au remplacement des fenêtres défectueuses ». Par ailleurs, le Conseil d’État décide pour la première fois de faire usage de la possibilité qui lui est reconnue par la jurisprudence « de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s’imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en œuvre ». Deux demandes formulées par l’OIP seront donc examinées dans le cadre d’une seconde décision, qui devrait être rendue dans les prochaines semaines, après la production par l’administration d’éléments complémentaires sollicités par le Conseil d’État. Ces demandes portent d’une part sur l’installation de toilettes dans l’ensemble des cours de promenade de la prison calédonienne et, d’autre part, sur la fermeture des trois conteneurs maritimes métalliques qui « tiennent lieu de “cours de promenade” » ainsi que s’en indigne le CGLPL.
Le choix de l’impuissance
Mais, refusant d’ordonner des « mesures d’ordre structurel », le Conseil d’État reste sourd aux critiques de la Cour européenne des droits de l’homme qui pointait pourtant expressément la « portée limitée » du pouvoir d’injonction du juge des référés, notamment son refus « d’exiger la réalisation de travaux d’une ampleur suffisante » pour faire cesser les mauvais traitements résultant de conditions de détention dégradantes. Ainsi, la haute juridiction a rejeté toute les demandes de l’OIP-SF tendant au prononcé de mesures structurelles telles que par exemple la fermeture des conteneurs maritimes utilisés en guise de cellule, le renforcement des moyens financiers, humains et matériels des services judiciaires et pénitentiaires permettant le développement du prononcé d’aménagements de peine, la rénovation intégrale du quartier mineurs insalubre, ou encore le développement des activités de travail, de formation et culturelles proposées aux personnes détenues. Certes, le Conseil d’État semble indiquer que de telles demandes pourraient être adressées au juge administratif ne statuant pas en référé, ce dernier pouvant « enjoindre à l’administration pénitentiaire de remédier à des atteintes structurelles aux droits fondamentaux des prisonniers en lui fixant, le cas échéant, des obligations de moyens ou de résultats ». Et précise qu’il « appartient alors [à ce juge] de statuer dans des délais adaptés aux circonstances de l’espèce ». Mais en l’absence d’encadrement strict des durées d’instruction de ce type de dossiers, rien ne permet d’affirmer que leur examen par ce juge ne durera pas plusieurs années, comme cela est le cas actuellement, laissant pendant tout ce temps des personnes détenues exposées à des conditions d’incarcération gravement contraires aux droits fondamentaux.
Il y a deux mois, par un arrêt du 8 juillet 2020, La Cour de cassation rappelait qu’« il appartient au juge national, chargé d’appliquer la Convention, de tenir compte de [l’arrêt de condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme] sans attendre une éventuelle modification des textes législatifs ou réglementaire ». Et opérait un important revirement de jurisprudence en reconnaissant enfin pour la première fois aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de solliciter leur mise en liberté en cas de conditions de détention contraires à la dignité humaine. Plus récemment, dans une décision historique du 2 octobre 2020, le Conseil constitutionnel constatait à son tour l’ineffectivité des voies de recours internes et enjoignait au législateur d’engager une réforme pour garantir aux personnes détenues un recours « devant le juge judiciaire » pour qu’il « soit mis fin aux atteintes à [leur] dignité résultant des conditions de [leur] détention provisoire. » En comparaison, la décision qui vient d’être rendue par le Conseil d’État concernant les conditions de détention à la prison de Nouméa fait bien pâle figure.
À rebours des modifications qu’appellent l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en janvier dernier, cette décision maintient le juge administratif des référés dans une situation d’impuissance injustifiable face aux conditions inhumaines et dégradantes que réservent nombre de prisons françaises aux personnes qui y sont incarcérées.
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