Au centre de détention de Châteaudun, l’accès aux soins dentaires est particulièrement problématique. Depuis le départ du chirurgien-dentiste il y a bientôt deux ans, les possibilités de prise en charge des pathologies nécessitant des soins urgents sont restreintes, avec des conséquences parfois graves sur la santé des personnes détenues.
À la prison de Châteaudun, le poste de chirurgien-dentiste est vacant depuis février 2020. Pourtant, les besoins sont immenses : les personnes qui y sont détenues présentent pour beaucoup de graves problèmes dentaires, en raison d’une surexposition à la précarité et aux comportements addictifs. Et nombre d’entre elles requièrent des soins importants et urgents, comme l’illustre ce certificat médical rédigé par l’unité sanitaire en avril 2021 : « L’état de santé [de Monsieur B.] nécessite la poursuite des soins dentaires précédemment initiés par son odontologiste traitant en raison d’une altération de la denture et de la chute récente d’une dent incisive supérieure. Ces soins sont à réaliser rapidement. » Un autre certificat, daté de février, signale que « l’état de santé [de Monsieur S.] nécessite des soins dentaires urgents » et porte la mention « 2e certificat », soulignée deux fois. Faute de prise en charge adaptée, l’unité sanitaire en est réduite à pallier la douleur des patients détenus à coups de médicaments. « Mon fils souffre de problèmes dentaires récurrents avec infection, soulagés au Doliprane depuis plusieurs mois », écrit la mère d’un détenu. Un autre indique que son ordonnance d’anti-inflammatoires et d’antibiotiques est renouvelée tous les dix jours depuis plusieurs semaines.
Si l’Agence régionale de santé et les autorités administratives et judiciaires ont été averties, aucune solution satisfaisante et pérenne n’a été avancée pour répondre à une situation qui ne cesse de se tendre. « Ceci est un appel au secours », alertait l’unité sanitaire dans un courrier adressé en avril 2021 à la direction du centre hospitalier de Châteaudun, et transmis à d’autres autorités. Un remplaçant a bien effectué un bref passage au cabinet dentaire à l’été 2020, mais il a rapidement été « contraint d’abandonner les soins en raison d’indisponibilité du matériel et de fourniture, et du dysfonctionnement des appareils radiographiques », précise le courrier. Aussi, un état des lieux des besoins en réparation a été réalisé. Pour l’heure, « le centre hospitaliser s’est engagé à investir 50 000 euros pour l’installation de nouveau matériel, ce qui devrait faciliter par la suite le recrutement d’un chirurgien-dentiste. Une première livraison de 39 000 euros de matériel a ainsi été effectuée ; son installation a débuté. Un complément de matériel devrait être livré très prochainement », indique la Direction de l’administration pénitentiaire (Dap).
Avec le temps, de nouvelles addictions aux opiacés apparaissent en raison de la prescription répétée d’antalgiques.
Face à l’urgence, trois détenus avaient, en mai 2021, saisi le tribunal administratif d’Orléans pour demander qu’il soit enjoint au ministère de la Justice et à la direction du centre hospitalier de Châteaudun de faire intervenir un chirurgien-dentiste au sein de l’établissement, dans un délai d’un mois à compter de la décision. En vain. Dans sa réponse, le ministère indiquait qu’« il est d’usage dans cet établissement, afin de permettre l’accès aux soins dentaires des personnes détenues, qu’elles puissent obtenir du juge de l’application des peines une permission de sortir pour se rendre chez le dentiste ». Cependant, depuis le 1er janvier 2021, seules seize permissions ont été accordées à des détenus ayant rendez-vous chez un dentiste – et ce alors que 70 consultations dentaires étaient réalisées chaque mois par l’unité sanitaire en 2019(1). Confrontés à un afflux important des demandes, les magistrats rappelaient que « les permissions de sortir formulées pour raison médicale afin de pallier l’absence de médecin spécialisé (dentiste) au sein de l’unité sanitaire doivent rester réservées à des cas exceptionnels relevant de l’urgence caractérisée et lorsque la règle de l’extraction médicale n’avait pu être préalablement observée faute d’effectifs suffisants »(2). De fait, les extractions pour raison médicale ne sont accordées qu’au compte-goutte, les extractions judiciaires étant considérées comme prioritaires. Et quand bien même les magistrats ne s’opposeraient pas à cet usage détourné des permissions de sortir, encore faut-il que la personne puisse y prétendre : leur octroi est en effet soumis à des conditions, comme celle d’avoir déjà effectué un temps de détention déterminé. Par ailleurs, elles sont plus difficilement accordées aux détenus dont la situation administrative est irrégulière sur le territoire français, et qui constituent pourtant une part importante de la population du centre de détention de Châteaudun.
Une consultation par mois pour tous les détenus à Orléans
Enfin, si le centre hospitalier de Châteaudun doit dispenser les soins somatiques (dont les soins dentaires) au sein de la prison, il lui appartient aussi d’assurer les consultations spécialisées qui ne peuvent être réalisées en milieu pénitentiaire(3). Or, la prison se situe dans un désert médical. L’hôpital ne propose pas lui-même de consultations dentaires. Pendant un temps, le service de stomatologie du centre hospitalier régional (CHR) d’Orléans a ainsi accepté de réaliser des extractions dentaires, en ultime recours, pour des détenus de Châteaudun. Ayant le sentiment d’être « employés comme de simples arracheurs de dents », les spécialistes étaient cependant de moins en moins enclins à recevoir ces patients. L’unité sanitaire a fini par trouver un accord avec le service d’odontologie du même CHR. Mais celui-ci reste largement insuffisant : une seule consultation par mois est réservée à l’ensemble du centre de détention, si bien que le planning est déjà complet jusqu’en 2023.
Entre les murs, la situation s’aggrave. Avec le temps, « de nouvelles addictions aux opiacés, en raison de la prescription répétée des antalgiques » apparaissent, alerte l’unité sanitaire dans son courrier. « Plus grave encore, des germes résistants aux antibiotiques couramment utilisés dans le cas des pathologies buccales » sont observés. Les douleurs récurrentes suscitent des symptômes dépressifs chez les personnes détenues, ainsi que des réactions agressives et des tensions avec tout le personnel de l’établissement et les autres détenus.
Par Pauline Petitot
(1) Rapport d’activité 2019 de l’unité sanitaire.
(2) Rapport d’activité 2020 du service de l’application des peines du tribunal judiciaire de Chartres.
(3) Protocole-cadre entre l’établissement pénitentiaire de Châteaudun et le centre hospitalier de Châteaudun et le centre hospitalier Henri Ey de Bonneval chargés de la prise en charge sanitaire des personnes détenues.