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Après Incarville, une déferlante de mesures sécuritaires

Après l’attaque mortelle d’un convoi pénitentiaire à Incarville, le ministère de la Justice a réagi avec la mise en place, au pas de charge, de mesures sécuritaires attentatoires aux droits des personnes détenues.

Le 13 juin, le ministère de la Justice signait un protocole d’accord quasi-exclusivement sécuritaire avec des syndicats pénitentiaires[1]. Un document qui confirme et affine la trentaine de mesures promises un mois plus tôt, dans l’émotion suscitée par l’attaque mortelle d’un fourgon à Incarville le 14 mai, et alors que la plupart des prisons étaient bloquées par des agents (voir p. 4).

Non rendu public, ce protocole est le fruit de travaux menés en réaction à un événement isolé – aussi dramatique soit-il –, sans transparence aucune et sans autre concertation que celle de quelques syndicats pénitentiaires. Une dizaine d’organisations intervenant dans le champ pénal, pénitentiaire et des droits humains, dont l’OIP, avait alerté sur un risque de « surenchère sécuritaire » et de « régression considérable en termes de respect des droits »[2], sans succès. Au contraire, les actions visant à concrétiser ces mesures se sont poursuivies tous azimuts et à un rythme effréné : bon nombre d’entre elles se trouvaient déjà, au jour de la signature, à un stade d’élaboration avancé[3].

Plus d’armes, moins d’extractions

Il y a celles qui sont directement liées à l’armement et au matériel de sécurité, et qui traduisent une véritable démonstration de force. Au-delà du déploiement rapide d’équipements déjà prévus comme les pistolets à impulsion électrique, les bombes incapacitantes ou les caméras-piétons, de nouvelles dotations sont envisagées, notamment « en fusils à pompe et en armes automatiques d’épaule de munitions 5.56 et 9 mm », peut-on lire dans une annexe du protocole.

L’accord signé confirme également la volonté de limiter les extractions en développant le recours à la visio, une approche gestionnaire qui renforce la place de la technologie et la déshumanisation des échanges, au détriment des droits de la défense et à la santé des personnes détenues. Côté extractions judiciaires, le « plein usage des possibilités offertes par le cadre juridique actuel » est ainsi encouragé pour développer la visio-conférence et le déplacement des magistrats en prison, et une réflexion sur ses « marges d’évolution » enclenchée. La limitation des extractions médicales fait par ailleurs l’objet d’un travail interministériel, indique le protocole d’accord sans plus de précision.

Vers la généralisation des fouilles à nu systématiques ?

Il est un autre projet particulièrement dangereux : l’élargissement des possibilités de fouilles à nu systématiques des personnes détenues. Une expertise juridique de la possibilité de réécrire l’article L.225-1 du code pénitentiaire, qui encadre cette pratique éminemment humiliante[4], a été réalisée au pas de course. Son contenu, lui, n’est pas développé dans l’annexe du protocole d’accord. « En cas de modifications législatives », poursuit le document, « elles seront intégrées au PJL [projet de loi] de lutte contre la criminalité organisée prévu à l’automne 2024 ». Un commentaire – « contraintes fortes de constitutionnalité et de conventionnalité » – conforte l’inquiétude sur l’ampleur des atteintes aux droits auxquelles pourraient conduire les modifications envisagées.

Sans attendre, le protocole prévoit le « plein usage des possibilités offertes par le cadre juridique actuel de fouilles intégrales ponctuelles, systématiques et sectorielles » pour lutter contre les téléphones portables et l’usage de stupéfiants en détention. Car le principe d’interdiction des fouilles à nu systématiques, pourtant dicté par les normes internationales, a déjà été renversé en 2018[5]. L’article du code pénitentiaire qu’il est question de réécrire permet dès à présent d’y déroger après une période sans « surveillance constante » (extraction ou permission de sortir) ou « lorsque les nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire l’imposent ». La loi permet également la fouille intégrale des personnes détenues « dans des lieux et pour une période de temps déterminés », indépendamment de leur personnalité[6].

En parallèle, le protocole prévoit aussi l’« augmentation du rythme des fouilles, rotations de cellule et rotations de sécurité des personnes détenues dont le profil et la dangerosité le justifient ».

Aux antipodes des recommandations internationales

Ces mesures sécuritaires vont à l’encontre des recommandations formulées par le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) en juin 2021 à l’issue de sa visite en France[7]. Regrettant la persistance de pratiques attentatoires au droit en termes d’extractions médicales ou le trop faible encadrement des fouilles à nu, il invitait les autorités à « sortir de cette spirale » consistant à « élev[er] le seuil de sécurité passive de plus en plus haut » pour mettre en place, au contraire, une « approche fondée sur l’humain et la sécurité dynamique ».

Le seul point sur lequel le protocole reste flou est précisément aussi le moins répressif : la surpopulation carcérale. Le projet de concertation annoncé à ce sujet n’est pas sans rappeler la consultation menée dans le cadre des États généraux de la Justice[8], dont les conclusions ont été rendues il y a à peine deux ans. Les leviers identifiés sont ceux qui sont déjà vainement mis en place depuis des dizaines d’années : augmentation du nombre de places de prison, optimisation du parc carcéral (voir p.22) ou encore « réflexion sur les aménagements de peine et les réductions de peine ». À rebours, là encore, des dernières conclusions du Conseil de l’Europe qui, il y a quelques mois, invitait « instamment » les autorités françaises à « reconsidérer leur stratégie de lutte contre la surpopulation en s’attaquant à ses causes profondes », et à « examiner sérieusement et rapidement l’idée d’introduire un mécanisme national contraignant de régulation carcérale[9] ».

Il faudra bien y venir. Car au-delà de l’attaque d’Incarville, la situation en détention est intenable au quotidien. Et c’est avant tout la conséquence de cette surpopulation toujours plus étouffante, d’un manque criant de moyens matériels et humains, et des tensions et violences générées par les innombrables atteintes aux droits fondamentaux des personnes détenues. n

 

Par Prune Missoffe

Cet article a été écrit dans la revue Dedans Dehors n°123 – Juillet 2024 – Jeux Olympiques 2024 : la répression dans les starting blocks 

 

[1] UFAP-UNSA Justice, FO-Justice, CGT-Pénitentiaire, Syndicat pénitentiaire des surveillants.

[2] « Lettre ouverte au garde des Sceaux : après le drame d’Incarville, stop à la « surenchère sécuritaire » », A3D, Adap, CGT Insertion-Probation, Emmaüs France, LDH, OIP, Saf, Secours Catholique – Caritas France, SNPES-PJJ, 5 juin 2024.

[3] « Déclinaison des actions du protocole d’accord », annexe 2.

[4] « Fouilles à nu : souvent illégales, toujours humiliantes », Dedans Dehors n° 101, septembre 2018.

[5] « Fouilles intégrales en détention : un recul inacceptable », Dedans Dehors n° 102, décembre 2018.

[6] Article L.225-2 du code pénitentiaire.

[7] « Conditions carcérales : le Conseil de l’Europe réclame des mesures en urgence », Dedans Dehors n° 111, juin 2021.

[8] « Plan d’action pour la justice : les non-annonces du garde des Sceaux sur les prisons », Dedans Dehors n° 118, avril 2023.

[9]  « Surpopulation : le Conseil de l’Europe presse la France de changer de stratégie », Dedans Dehors n° 122, avril 2024.