Des mères, des soeurs, des amantes, une petite fille... Pour le huis-clos « De sas en sas », la comédienne et réalisatrice Rachida Brakni a choisi de filmer un groupe de femmes pendant l'attente éprouvante d'un parloir. Un point de vue engagé sur l'univers carcéral.
Qu’est-ce qui vous a amené à choisir le point de vue des femmes qui visitent les détenus ?
Rachida Brakni : La question de l’enfermement, en asile psychiatrique ou en prison, me tourne dans la tête depuis que je suis petite. Si je n’avais pas fait ce film, j’en aurais fait autre chose. Et puis, il y a plusieurs années de ça, je me suis retrouvée dans la même situation que ces femmes. J’ai réalisé qu’on ne parle jamais d’elles, et que la justice ne peut pas quantifier cette peine indirecte qui leur est infligée. Qu’est-ce qu’on fait des liens familiaux et amoureux ? Pour les maintenir, il faut continuer à aller visiter la personne, lui donner du linge propre, récupérer le sale. Pour les femmes qui travaillent, c’est très compliqué : difficile de dire à son employeur qu’on a besoin d’un jour pour se rendre en prison.
Dans quelle mesure les artistes et les cinéastes peuvent-ils jouer un rôle dans la politisation de ce sujet, changer le regard des gens sur l’univers carcéral ?
J’ai le souvenir d’artistes qui, quand j’étais plus jeune, se servaient de leur notoriété ou de leur outil artistique pour rendre compte d’un certain nombre de choses. Malheureusement, on est dans une société beaucoup plus individualiste, moins politisée. Avant, on pouvait embrasser une cause à bras le corps, mais si on le fait aujourd’hui, on est tout de suite taxé de bobos vivant en dehors de la réalité. À chaque projection, des gens me disent qu’ils n’imaginaient pas la prison comme cela. Même si ce n’est pas un documentaire, je suis contente de me dire qu’à partir de ce que montre le fi lm – le parcours du combattant des familles – des personnes prennent conscience de ce qu’est l’emprisonnement, de tout ce que ça implique comme conséquences. Il faut sortir de cette image complètement fausse d’une population carcérale qui ne serait composée que de dangereux criminels. Impliquer les gens, en rappelant que chacun peut se retrouver confronté de près à cette situation-là. On entend encore des choses assez terrifiantes comme « Mais de quoi ils se plaignent ?! », ou des comparaisons de la prison avec un hôtel. Or c’est un lieu qui abîme plus qu’il ne répare : c’est important de le montrer et de s’interroger sur ce que la prison est censée apporter.
De votre point de vue de citoyenne, quels sont les combats prioritaires pour transformer les politiques pénales et carcérales ?
Je ne suis pas spécialiste du sujet mais il y a une chose dont je suis sûre, c’est qu’il y a plein de solutions alternatives qui permettraient de désengorger les prisons et qu’il faut les mettre en évidence. J’en veux terriblement à cette classe politique qui joue sur la peur, c’est de la malhonnêteté intellectuelle. On a l’impression de conversations de comptoir, de postures. Ce n’est pas ce que j’attends d’hommes politiques, j’attends de la hauteur et une vision à long terme. La surenchère sur la construction de places de prison par exemple, c’est une aberration, un non-sens total. On sait bien qu’une personne incarcérée coûte très cher au contribuable. En fait, il faut faire un travail éducatif et être un peu pragmatique, en commençant par combattre les idées reçues véhiculées par notre classe politique. Et puis, avoir une vision à long terme pour désengorger les prisons, c’est aussi réfléchir la société dans sa globalité. Je pense à l’accompagnement des détenus. Beaucoup ont besoin d’un soutien psychologique, psychiatrique, professionnel, de formation, d’alphabétisation, etc. Or la prison ne le propose pas toujours ou mal. Un monde ne peut pas aller mieux si ceux qui sont à un moment donné en marge de la société ne sont pas traités avec humanité.
Propos recueillis par Sarah Bosquet