À l’annonce du confinement, le 17 mars, une vague de mouvements de protestation s’empare d’une quarantaine de prisons. Face à ces mobilisations collectives, la Direction de l’administration pénitentiaire revendique la fermeté. Sur le terrain pourtant, certains directeurs tentent d’autres approches, et misent sur le dialogue.
« Nous détenus, bloquons les prisons de France. Nous détenus, sommes inquiets concernant le Covid-19 pour nos familles, nos proches et nous-mêmes. » C’est par ces mots que débute la lettre ouverte (lire ici) adressée aux autorités par des détenus de la prison de Rennes-Vezin, le 22 mars dernier. À cette date, cela fait cinq jours que les prisons françaises sont agitées par des mouvements de protestation – une quarantaine dans tout le pays(1).
C’est l’annonce, mardi 17 mars, du confinement – et, avec, de la suspension des parloirs – qui semble avoir mis le feu aux poudres : ce jour-là, des détenus des prisons de Douai, Maubeuge, Paris-La Santé, Angers, Grasse et Perpignan décident de bloquer les cours de promenade et refusent de remonter en cellule. Le lendemain et les jours suivants, les appels à la mutinerie circulent via les téléphones portables d’une prison à l’autre ; une douzaine d’établissements rejoignent alors le mouvement. Et la promesse, le vendredi 20 mars par la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP), de mesures compensatoires à la suppression des parloirs (lire ici) n’y fera rien : le week-end qui suit, la vague de protestation gagne dix-sept nouvelles prisons, majoritairement des maisons d’arrêt. Dans la plupart, le mouvement est pacifique. Dans une minorité, des dégradations, et parfois des violences, sont commises. Si la cessation des parloirs cristallise les tensions, c’est parce qu’elle signe la perte des seuls liens tangibles que les détenus conservent avec leurs proches à l’extérieur (lire ici). Outre l’aspect psychologique et affectif, l’arrêt des visites a aussi des répercussions très concrètes sur la vie à l’intérieur, puisque c’est souvent aux proches qu’il incombe d’entretenir le linge des personnes détenues. La suspension des parloirs entraîne aussi, pour certains, des difficultés d’approvisionnement en cannabis. « Les gamins n’ont pas bien réagi, forcément. C’est chaud ici. Ils ne vont plus avoir de shit pour fumer, se détendre. Dans quelques jours c’est l’émeute assurée », prévenait ainsi Ali, dans les pages du journal Libération(2).
Parmi les revendications, des mesures de protection
Face à cette crise sanitaire sans précédent et alors que les risques sont en prison décuplés – par la surpopulation et la promiscuité, par les difficultés d’accès au soin – c’est aussi et peut-être surtout la peur qui a poussé un certain nombre de détenus à manifester. Le 17 mars, on apprenait en effet la mort d’un homme de 74 ans incarcéré à Fresnes, l’une des prisons les plus surpeuplées de France. Testé positif au Covid-19, il avait été hospitalisé quelques jours plus tôt. Dès le début de la crise, les appels de détenus angoissés affluent au standard de l’OIP (lire ici). « Mes conditions de détention sont précaires, ça fait quatre mois que je dors sur un matelas par terre, je n’ai pas d’espace vital. J’ai peur de mourir en prison, vu la crise sanitaire… Ici les gestes barrières sont impossibles à respecter ! », témoigne l’un d’eux. Nombreux sont ceux qui dénoncent l’impossible respect des règles de distanciation et l’absence de matériel de protection.
C’est d’ailleurs la première revendication des détenus bloqueurs : « Que des règles d’hygiène strictes soient imposées à l’ensemble du personnel de l’établissement ; que la promiscuité entre nous et le personnel, comme partout ailleurs en France, soit interdite et si cela n’est pas possible, que le personnel porte gants et masques. » À la prison de Rennes-Vezin, les détenus refusent de regagner leur cellule pour pouvoir « parler au directeur » et « évoquer avec lui la nécessité d’adopter des mesures pour éviter la propagation du coronavirus dans la prison »(3).
En réponse, un seul mot d’ordre : « fermeté »
Mais pour la DAP, la cause de ces mouvements collectifs importe peu. Face à la presse, et tout en affirmant « entendre et comprendre les inquiétudes des détenus, qui rejoignent d’ailleurs celles des personnels pénitentiaires en ce qui concerne les exigences sanitaires », elle prévient : « Notre réponse sera ferme. » Dans les cas où les mouvements se sont accompagnés de violences ou de vandalisme, des poursuites pénales sont en effet engagées, des peines de prison ferme prononcées. Au plan disciplinaire, cette « fermeté » ne se limite pas aux cas où des violences ou des dégradations – parfois spectaculaires, comme à Uzerche(4) – ont été commises. Des poursuites disciplinaires sont quasi systématiquement engagées, y compris lorsque le mouvement de protestation s’est déroulé sans incident et que les détenus ont d’eux-mêmes regagné leur cellule.
« À La Santé, nous avons eu deux cours de promenade bloquées le 17 mars, raconte Flavie Rault, secrétaire générale du Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP) et adjointe à la maison d’arrêt. Dans l’une, des personnes détenues sont montées sur les toits, ont lancé des projectiles et causé des dégâts, avec comme conséquence une cour de promenade complètement inutilisable. Ça a été géré par les Éris (équipes régionales d’intervention et de sécurité) qui les ont remontés dans leurs cellules par la force. Dans l’autre, les détenus sont restés calmes, on a pu discuter et ils ont fini par remonter sans autre forme de dégradation ou d’agitation. » Pour autant, « tous ceux qui étaient dans l’une ou l’autre des cours ont fait l’objet de poursuites disciplinaires ». Si les sanctions n’ont « pas été les mêmes » suivant les cas, insiste l’adjointe, la personne identifiée comme « meneuse » dans la cour calme a tout de même écopé de dix jours de quartier disciplinaire.
Simplement pour avoir appelé à manifester. Des sanctions qui interrogent d’autant plus que les conditions dans lesquelles se déroulent les commissions de discipline sont, en cette période de confinement, fortement dégradées. Les détenus disposent en effet encore plus rarement que d’habitude d’un avocat pour les défendre. Les témoins extérieurs que sont les assesseurs font aussi défaut dans certains établissements, laissant l’administration seule juge. Dans ces circonstances, une injustice est vite arrivée. À la prison de Rennes-Vezin, l’un des détenus identifiés comme meneur, qui avait écopé d’une lourde sanction disciplinaire et fait l’objet de poursuites pénales pour dégradation et insultes a, environ un mois après les faits, été innocenté par la justice(5).
La carotte et le bâton
Mais la répression ne s’arrête pas là. Outre les poursuites pénales et les sanctions disciplinaires, « les détenus qui participent à des mouvements collectifs ne bénéficieront pas des dispositifs exceptionnels » sur lesquels travaille alors le ministère de la Justice pour réduire la population carcérale, prévient la Dap le 22 mars. Une façon de dissuader les détenus tentés de rejoindre le mouvement et d’étouffer la contestation qui gagne chaque jour de nouveaux d’établissements. La menace est rapidement mise à exécution : l’ordonnance pénale du 25 mars 2020 met en place un mécanisme de réduction supplémentaire de peine (RPS) exceptionnelle, mais en prive toute personne ayant participé à un mouvement de blocage des promenades, même pacifique. Et ce, de façon rétroactive (lire ici).
« La promesse des RPS est venue calmer le jeu, c’est sûr ! C’est la technique de la carotte devant l’âne », confirme l’un des cadres d’une maison d’arrêt touchée par un mouvement de blocage dès les premiers jours du confinement. Dans cet établissement, les détenus étaient restés calmes et remontés d’eux-mêmes en cellule. Si l’équipe de direction a décidé – chose plutôt rare – de ne pas engager de poursuites disciplinaires à leur encontre, les détenus ont néanmoins fait l’objet d’un signalement. Et ont été privés des RPS exceptionnelles, « l’ordonnance obligeant à émettre un avis défavorable même à des gens qui se sont exprimés, tout simplement », regrette le directeur.
Donner les moyens de s’exprimer et de contester collectivement
C’est d’ailleurs le nœud du problème : de quel moyen légal les personnes détenues disposent-elles pour contester, revendiquer ou même simplement s’exprimer collectivement ? D’aucun, en réalité : les libertés de s’exprimer, de s’associer et de se réunir ne sont pas reconnues aux personnes détenues, au motif qu’elles risqueraient de porter atteinte au « bon ordre et à la sécurité » des établissements. Une simple pétition peut ainsi être sanctionnée.
La loi pénitentiaire de 2009 a toutefois ouvert une brèche : « Sous réserve du maintien du bon ordre et de la sécurité de l’établissement, les personnes détenues sont consultées par l’administration pénitentiaire sur les activités qui leur sont proposées », dispose son article 29. Une brèche dans laquelle se sont engouffrés certains directeurs de prison, à la faveur de ce bouleversement sans précédent. Alors qu’il est théoriquement limité à la question des activités en détention, certains directeurs de prisons d’Île-de-France ou de la région lyonnaise, notamment, ont choisi d’en faire une interprétation extensive. « Habituellement, on consulte sur les activités collectives, le travail, ce genre de choses. Là, on a un peu détourné ce cadre pour expliquer la suspension des parloirs, les nouvelles modalités de vie en détention, à quoi elles servaient, expliquer les mesures compensatoires qui étaient proposées par l’AP et ce qu’on pouvait faire nous, au local, pour adoucir un quotidien encore plus restrictif que d’habitude », explique Flavie Rault, du SNDP. Concrètement, l’administration désigne un ou plusieurs représentants parmi les détenus d’un bâtiment, qu’elle réunit par petits groupes. « L’idée est que ces personnes diffusent ensuite les informations auprès de leurs codétenus en promenade, qui est le seul lieu de socialisation qui leur reste, et surtout qu’ils nous fassent remonter les remarques et interrogations des autres personnes détenues d’une fois sur l’autre », poursuit la directrice adjointe. Elle en est persuadée : « Si nous avions pu, comme nous l’avions prévu, informer nous-mêmes directement les détenus de la suspension des parloirs, expliquer la raison de cette décision, nous n’aurions pas connu ces mouvements de blocages le 17 mars. Malheureusement, nous avons été pris de court par les annonces gouvernementales, qui ont été immédiatement reprises par les médias. »
Pour le corps encadrant, ces réunions ont un énorme intérêt : « Elles permettent de sonder une détention, de voir si le climat est apaisé ou pas. C’est vraiment un outil d’ajustement et d’équilibrage d’une détention, qui nous permet d’avoir rapidement un panorama global de la façon dont telle ou telle mesure est perçue, si elle fonctionne, et de maintenir ce point d’équilibre », explique un cadre pénitentiaire de la DISP (direction interrégionale des services pénitentiaires) de Lyon, qui témoigne d’une quarantaine d’initiatives similaires sur les prisons de son ressort durant le confinement. Selon lui, ces réunions d’échange permettent d’« apaiser le climat en détention » : « La communication mise en œuvre par les établissements pénitentiaires est un des outils qui a certainement permis d’éviter des incidents », poursuit-il. Reste à savoir si les remarques et demandes des personnes détenues sont réellement prises en compte. Le cadre lyonnais l’assure, citant l’exemple d’un établissement dans lequel les détenus avaient fait part de leur crainte de contagion au Covid sur les cours de promenade et sur les terrains par le biais d’équipements sportifs. « C’est remonté grâce à une réunion article 29 et le directeur a pu mettre en œuvre une solution de désinfection supplémentaire sur cet équipement », rapporte-t-il.
Toutes positives qu’elles soient, ces expériences ont toutefois une limite de taille : elles restent très localisées, et ne tiennent qu’à la bonne volonté des équipes de direction en place. En outre, ces pratiques ne sont pas adaptées à toutes les revendications, spécialement lorsque ces dernières dépassent le domaine de compétence des directions locales. Dans la prison de Borgo, en Corse, une pétition a été lancée et signée par plus de 140 personnes détenues le 20 avril, avant d’être reprise, le lendemain, par des prisonniers d’Ajaccio, qui décidaient, le 21 avril, d’engager une grève des plateaux-repas. En cause : l’ordonnance de du 25 mars, et notamment la décision de prolongation automatique des détentions provisoires (lire ici). Joint par un journaliste de France 3, l’un d’entre eux expliquait : « Nous n’avons rien contre le directeur de la prison, il gère bien la situation », mais « tant que Nicole Belloubet ne retirera pas son ordonnance, nous n’arrêterons pas notre mouvement »(6). Pour cette pétition, qui remettait légitimement en cause des mesures d’exception par ailleurs largement contestées (lire ici), les détenus auraient pu être poursuivis et sanctionnés. Cela doit changer.
Par Laure Anelli
(1) « Coronavirus : plus d’une quarantaine de mutineries dans les prisons françaises », Médiacités, 27 mars 2020.
(2) « Coronavirus : “On s’imagine crever dans nos cellules », Libération, 22 mars 2020.
(3) « Prison. Les vidéos de la mutinerie innocentent un détenu de Vezin-le-Coquet », Ouest-France, 19/04/2020.
(4) « Mutinerie à la prison d’Uzerche, en Corrèze : près de 250 cellules inutilisables », Le Parisien, 22/03/2020.
(5) « Prison. Les vidéos de la mutinerie innocentent un détenu de Vezin-le-Coquet », Ouest-France, 19/04/2020.
(6) « Coronavirus : la contestation prend de l’ampleur dans les prisons corses », Francetvinfo.fr, 21/04/2020.