La permission de sortir devrait rythmer le parcours de toute personne détenue, afin de préparer le retour à la vie libre et limiter les effets dé socialisants de l’incarcération. Pour autant, elle reste souvent réduite à une faveur récompensant un bon comportement en détention.
« Rejetant la demande de permission de sortir » en raison d’un «mauvais comportement» et d’un « mauvais état d’esprit ». Telle est la réponse du juge de l’application des peines (JAP) reçue en juin 2014 par Monsieur F., détenu en Rhône-Alpes. Huit jours plus tôt, la commission pluridisciplinaire unique (qui réunit les différents professionnels en contact avec le détenu) avait pourtant estimé dans une synthèse communiquée à M. F. qu’il présentait depuis son arrivée en juin 2013 « un bon comportement ». Elle saluait « ses efforts » (formation, emploi d’auxiliaire, versements volontaires aux parties civiles, suivi régulier avec la psychologue) et l’invitait à les poursuivre.
Des permissions accordées au compte-gouttes
Nombreux sont les détenus qui voient leurs demandes de permission refusées pour des motifs contestables. Le nombre moyen de permissions accordées en 2013 est de 0,91 par condamné. Au total, cela représente 55302 octrois pour un nombre moyen de condamnés de 60 803 (1). Un chiffre dérisoire au regard de celui de l’Allemagne: 879 500 permissions accordées en 2010 pour un nombre moyen de 62 000 condamnés. Soit une moyenne de 14 permissions par détenu, qu’elles soient de plusieurs jours consécutifs pour des « congés pénitentiaires», ou d’une journée pour un motif particulier (2). En France, des permissions d’un jour peuvent être accordées pour se présenter à un examen, rencontrer un employeur, participer à un événement sportif ou culturel ou se rendre dans un centre de soins (article D143 du Code de procédure pénale). Des permissions plus longues sont possibles pour préparer la sortie de prison (trouver une structure d’accueil, un hébergement, une formation, un emploi…) ou maintenir les liens avec ses proches et préparer sa réinsertion (articles D145 et D146).
Des pratiques hétérogènes
Passage nécessaire pour préparer sa réinsertion ou mesure exceptionnelle à réserver aux détenus les plus méritants ? « Il y a vraiment une ligne de fracture entre les juges de l’application des peines », relève Laurence Blisson, qui a exercé cette fonction à Meaux pendant plus de trois ans. Les uns appréhendent la permission de sortir comme « une sorte de récompense d’un bon comportement, une bonne évolution », les autres la considèrent comme « une mesure nécessaire en soi ». Pour Jean-Claude Bouvier, responsable du service de l’application des peines de Créteil, la permission devrait « jalonner assez naturellement le parcours d’exécution de la peine », comme des « étapes nécessaires » pour permettre aux personnes « de maintenir leurs liens familiaux ou d’engager des démarches de réinsertion ». Le chercheur Christian Mouhanna confirme ces disparités et distingue les « JAP [qui] sont très “aménageurs”, et le revendiquent » des « JAP très réticents, qui s’affirment “répressifs”, et qui n’accordent des aménagements qu’avec parcimonie, à condition que soient réunies de fortes garanties » (3).
Une fonction disciplinaire
Le détournement des permissions de leur fonction de réadaptation et réinsertion résulte souvent de pressions concordantes. L’administration pénitentiaire (AP), le parquet, les responsables des services de l’application des peines ont tendance à demander aux JAP de refuser les permissions « pour sanctionner des mauvais comportements et incidents en détention », explique Jean-Claude Bouvier. A l’occasion d’une commission d’application des peines (CAP), le représentant de l’AP « va dire qu’il est défavorable, car cette personne a eu un incident récemment. C’est très compliqué de resituer le débat et rappeler qu’une personne peut avoir un comportement inadapté en détention » et que, pour autant, cela ne la prive pas de « tous ses droits, notamment le maintien des liens familiaux ». La permission n’a pas pour fonction « d’apaiser les tensions en prison, ce ne devrait pas être un moyen de pression, on est dans une autre logique », insiste Jean-Claude Bouvier.
En pratique, le motif du comportement est omniprésent. En février 2013, Monsieur P., incarcéré au centre de détention (CD) de Roanne, voit sa demande de permission rejetée en raison de son « comportement en détention » et d’un « compte rendu d’incident » (CRI). Un simple compte rendu, rédigé sans contradictoire par un seul surveillant, avant même qu’il soit décidé d’une sanction disciplinaire ou non, peut su re à refuser une permission. Dans les formulaires utilisés par certaines juridictions, la mention à cocher n’est pas « sanction disciplinaire du… date », mais « CRI du… date ». Pour Thierry Sidaine, président de l’Association nationale des juges de l’application des peines, ce n’est pas le CRI mais « la comparution devant la commission de discipline qui est importante. Si [le détenu] a reconnu les faits, il n’y a pas de difficulté, si au contraire il les conteste, le JAP n’est pas tenu par la commission de discipline. » D’autres JAP vont plus loin, ne considérant pas le comportement en détention comme critère. Laurence Blisson estime même que « plus la détention se passe avec des accrocs, plus l’aménagement de peine va être pertinent, donc plus la permission de sortir est importante ». Elle utilise ainsi parfois la permission « maintien des liens familiaux » pour « permettre à un détenu de souffler ».
Préférence faite à la réinsertion
Pour permettre aux personnes détenues de réintégrer peu à peu le monde extérieur, le Code de procédure pénale prévoit que les « condamnés ayant exécuté la moitié de leur peine et qui n’ont plus à subir qu’un temps de détention inférieur à trois ans » peuvent bénéficier de « permissions de sortir d’une durée maximale de trois jours » en vue du « maintien des liens familiaux ou de la préparation de la réinsertion sociale » (art. D145). Laurence Blisson souligne que ces permissions peuvent donc être délivrées simplement pour permettre « de garder un lien avec la société, d’être un moment avec sa famille, avec ses proches ». Elle constate néanmoins que pour nombre de ses collègues, « la réinsertion [socio-professionnelle] prime la question du maintien des liens familiaux » et qu’en l’absence de projet professionnel, la permission n’est pas même envisagée. Certaines associations comme le Secours catholique proposent même aux personnes détenues en situation de rupture familiale de se faire héberger par une famille d’accueil. Madame N. a pu pro ter de ce dispositif lors de son incarcération au CD de Rennes : « Cette relation m’a permis de ne plus me retrouver entre les murs, de prendre un contact avec la vie extérieure, de partager des moments de chaleur, de sentir un espoir et un avenir », témoigne-t-elle (4).
Outre ces permissions qui prévoient la possibilité de sortir de prison pendant plusieurs jours, les personnes détenues peuvent être amenées à demander l’autorisation de sortir quelques heures pour se présenter à un examen, rencontrer un éventuel employeur, mais également participer à une activité culturelle ou sportive. L’article D143 précise qu’elles sont destinées aux personnes condamnées à moins de cinq ans de prison ou qui ont effectué la moitié de leur peine. Là encore, ce type de permission est souvent accordé aux plus « méritants » et peut être jugé « non prioritaire » par rapport à des demandes ayant pour objectif la réinsertion professionnelle. Incarcéré au CD de Bourg-en-Bresse, Monsieur B. a déposé cinq demandes de permissions sportives entre le 8 mars et le 2 mai 2014. Elles ont toutes été rejetées par le JAP en raison de leur caractère « non prioritaire ».
« Fin de peine trop éloignée »
La permission de sortir est aussi appréhendée comme une mesure à accorder une ou deux fois juste avant la libération, bien qu’aucun texte n’aille dans ce sens. En octobre 2012, Monsieur A., incarcéré au CD de Roanne, fait une demande de permission pour se rendre chez un employeur. Elle est refusée par la JAP en raison de sa « demande prématurée eu égard à la date de fin de peine ». Monsieur A. entrait pourtant dans les critères temporels de recevabilité et avait effectué les démarches pour bénéficier d’un aménagement de peine, généralement accordé aux seules personnes détenues présentant une promesse d’embauche. Comment y parvenir sans rencontrer des employeurs potentiels ? Cette motivation est régulièrement avancée par les procureurs de la République siégeant en CAP pour estimer une demande de permission infondée. Une JAP rhônalpine explique ainsi qu’il « est très fréquent [qu’elle] rende des ordonnances d’octroi alors que le ministère public n’est pas d’accord, notamment en raison d’une date de fin de peine qu’il juge trop éloignée ».
Les refus de permission pour un tel motif génèrent souvent du découragement, voire des renoncements, auprès de détenus ayant engagé des démarches pour monter un projet de réinsertion. C’est ce qui est arrivé à Monsieur M., détenu au centre pénitentiaire d’Aiton. Alors qu’il réunissait l’ensemble des conditionnées par la loi, le JAP a estimé sa « demande prématurée » pour se rendre auprès de sa famille et rencontrer un employeur. Dépité, Monsieur M. a décidé de cesser toutes les activités auxquelles il était inscrit et a refusé un soir de réintégrer sa cellule. « C’est le seul moyen pour qu’on m’écoute », s’est-il défendu. Cet incident lui a valu une sanction de quartier disciplinaire. Et les nouvelles demandes de permission qu’il a déposées par la suite lui ont été refusées en raison de son « comportement sur la période récente qui ne permet pas l’octroi d’une mesure de confiance ». Le rapport d’enquête rédigé à la suite du refus de réintégration de sa cellule spécifiait que Monsieur M. « est très respectueux du personnel » et qu’il « ne pose aucun problème en détention » !
Et des obstacles juridiques…
Outre les obstacles liés à l’appréciation du juge, le demandeur d’une permission de sortir (PS) doit faire face à quelques injustices légales. Ainsi, l’article D146 du Code de procédure pénale élargit considérablement les critères de recevabilité (un tiers de la peine exécuté, permissions pouvant aller
« La permission n’a pas pour fonction d’apaiser les tensions en prison, ce ne devrait pas être un moyen de pression, on est dans une autre logique »
jusqu’à 10 jours) pour les personnes détenues en CD, mais pas pour celles incarcérées en maison d’arrêt.
Une JAP rhônalpine explique que « cette règle serait tolérable dans un monde où les détenus qui devraient être en CD le soient bien », alors que la réalité montre qu’on est bien loin de cette situation. « On retrouve souvent des personnes condamnées à de longues peines en maison d’arrêt parce qu’elles sont en attente d’affectation », décrit-elle, sans oublier « les personnes ayant effectué une longue détention provisoire ». C’est ainsi qu’un condamné à une longue peine maintenu en maison d’arrêt ne pourra pas demander les mêmes permissions que ceux affectés en centre de détention.
Autre anomalie des textes, l’absence de contradictoire. S’il est possible d’interjeter appel dans un délai de 24 heures contre un refus de permission, dans la très grande majorité des cas, la décision a été prise sans que le détenu ou son avocat n’ait été entendu par la CAP. Laurence Blisson considère que « c’est un des gros problèmes de la CAP. Les avis ne sont pas contradictoires et il n’est pas prévu que la personne détenue soit représentée par son avocat ». L’article D49-28 du Code de procédure pénale a beau autoriser le JAP à faire comparaître le détenu, nombreux sont les juges qui ne le font pas, en raison de l’engorgement des CAP et du nombre de dossiers à traiter dans un contexte de surpopulation carcérale. Pourtant, comme en témoigne Thierry Sidaine, « l’expérience montre que les avis des membres de la CAP peuvent changer après une audition, j’ai vu des procureurs, même des plus répressifs, changer d’avis sur l’octroi d’une permission de sortie parce que j’avais ordonné l’audition du détenu et que ses explications avaient démontré son sérieux ». Pour parachever le tout, deux décisions récentes de la Cour de cassation viennent mettre à mal le droit à un recours effectif pour les déboutés d’une demande de permission (5). Le 29 janvier 2015, la chambre criminelle de la Haute cour a en effet estimé qu’un pourvoi portant contre une demande de permission de sortir dont la date est dépassée est « sans objet ». Et la juriste Martine Herzog-Evans de souligner que ces arrêts « sonnent le glas de tout recours en examen de la légalité en matière de permission de sortir (6) ».
Amid Khallouf, Milena Le Saux-Mattes et Céline Reimeringer
(1) DAP, Séries statistiques des personnes sous main de justice, 1980-2014.
(2) F. Dünkel, « L’aménagement de la peine et la libération conditionnelle en Allemagne », in Travaux et Documents n° 79, DAP, 2013.
(3) C. Mouhanna, « Les aménagements de peine au prisme des relations judiciaires/pénitentiaires », in Travaux et Documents n° 79, DAP.
(4) C. Véran-Richard, « Prison : la famille, pilier de la réinsertion », Secours catholique, 24/11/2014.
(5) Cass. Crim., 29/01/2015, n° 13-83.960 et n° 13-87.534.
(6) Martine Herzog-Evans, Requiem pour le pourvoi en matière de permission de sortir, AJ Pénal, janvier 2015.