Etat sanitaire déplorable et record de surpopulation : une situation génératrice de tensions et violences, atténuées par une gestion « humaine » de la détention, selon le Contrôleur des lieux de privation de liberté. Pour autant, les détenus de Faa’a Nutania, en Polynésie, ne peuvent se résigner à pareil sort et mènent des actions devant les tribunaux.
Le cafard est-il bien cuit ? C’est ce dont s’enquiert le responsable de la cuisine de la prison de Faa’a Nuutania, en Polynésie, lorsque des détenus « affirment avoir trouvé des cafards dans la nourriture ». Il s’agit de « s’assurer que les protestataires n’ont pas placé eux-mêmes l’animal dans la nourriture “pour faire des histoires” ». Or, des cafards bien cuits, il s’en trouve, relate le rapport de visite du Contrôleur des lieux de privation de liberté, rendu public le 23 avril 2015 : « Il n’est pas contesté que les locaux [de la cuisine] soient infestés de cafards, bien qu’ils soient traités régulièrement. » Les nuisibles ne sont qu’une des manifestations de l’état sanitaire dégradé d’un établissement « qui vieillit mal » : « résidus noirâtres » en sus- pension dans l’eau du robinet – pourtant qualifiée de potable par les analyses bactériologiques – façades « recouvertes, par endroits, d’algues noires qui prolifèrent dans ce fond de vallée humide », « insalubrité des cabines de douches qui sont, pour la plupart, envahies par les moisissures ».
La politesse apaise les tensions
Au moment de leur mission, en avril 2012, les contrôleurs enregistrent une surpopulation de 335 % à la maison d’arrêt des hommes, et 283 % au centre de détention – quand l’AP en annonce 313 % et 220 % respectivement. Côté maison d’arrêt, la situation s’est dégradée depuis, avec un taux atteignant 402 % au 1er mai 2015 (chiffres AP). Afin de « limiter les effets d’une surpopulation qui, partout ailleurs, serait source de violences individuelles ou collectives », les responsables de l’établissement encouragent « une attitude bienveillante de la part des surveillants, des changements de cellules rapides afin de réguler les conflits entre codétenus, des rations alimentaires largement plus copieuses qu’en métropole, une pratique religieuse facilitée et surtout le respect permanent du contexte culturel particulier de la Polynésie. […] En détention, la poignée de main des surveillants et le “bonjour” sont systématiques. […] Cette approche humaine contribue sans doute à atténuer les tensions inhérentes à la surpopulation et à maintenir un calme précaire. »
Protestations
Le 16 juin 2015, quatre détenus sont néanmoins restés cinq heures juchés sur le mur d’enceinte, protestant contre leurs conditions de détention. De nombreux autres préfèrent saisir le tribunal administratif. Plus d’une centaine ont déjà obtenu des indemnités, près de 300 autres ont confié leur dossier à un avocat. Le 12 mai 2015, X. s’est vu accorder 12 570 euros pour ses sept ans et neuf mois d’incarcération à Nuutania, à trois dans des cellules de 10 m2. Confiné près de 20 heures par jour, prenant ses repas dans une atmosphère insalubre (chaleur, humidité et odeurs nauséabondes), sans système d’aération, dans une lumière naturelle insuffisante et avec la présence de rats et de cafards… Le tribunal a reconnu que « ces conditions de détention, portent atteinte à la dignité humaine et engagent la responsabilité de l’État ».
Barbara Liaras