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Face au Covid, des méthodes bousculées et des élèves découragés

Depuis un an, l’enseignement en détention tente de s’adapter tant bien que mal à la crise sanitaire. Cours à distance, individuels ou en petits collectifs : les différents dispositifs mis en place peinent à répondre à l’ampleur des besoins. Découragés par une crise qui n’en finit pas, de nombreux détenus ont décroché.

« On essaie de maintenir les élèves à bout de bras, avec des rencontres individuelles et une mise en place de cours à distance. Mais on est en train de perdre le public prioritaire, et de plonger les gens dans une misère intellectuelle préoccupante », alerte un professeur en maison centrale. Depuis le début de la crise sanitaire l’année passée, et au gré des confinements, l’enseignement en prison a lui aussi basculé en distanciel. Sans ordinateur ni connexion Internet, ces cours à distance ont pris la seule forme autorisée par l’administration pénitentiaire : le papier. Un format qui, au fil des mois, a découragé de nombreuses personnes détenues, notamment parmi les illettrées et allophones pourtant considérées comme des publics prioritaires.

L’humain remplacé par des polycopiés

Mars 2020, les écoles ferment, y compris en prison. Dans les unités locales d’enseignement, c’est le branle-bas de combat. Comment assurer le maintien des cours à distance, alors que les professeurs ne sont plus autorisés à se rendre en prison, ne serait-ce que pour imprimer leurs cours ? « Nous élaborions chaque semaine des dossiers autocorrectifs, qu’un surveillant imprimait et distribuait. À partir d’avril, on a commencé à avoir des retours des détenus, scannés par une collègue du SPIP [service pénitentiaire d’insertion et de probation] », explique une responsable locale de l’enseignement (RLE). « Le bilan n’était pas du tout positif, souffle une enseignante d’un grand établissement pénitentiaire parisien… On a eu très peu de retours, les détenus n’ont pas adhéré à ce format. Ils étaient dans une telle détresse, avec la suppression des parloirs, qu’ils n’avaient pas du tout la tête à ça. Les gens s’inscrivent au scolaire pour sortir, voir des gens, avoir du contact humain. Pas pour recevoir des polycopiés. » La RLE d’une plus petite prison dresse un bilan plus nuancé : « Sur une centaine de détenus qui étaient inscrits au scolaire, on a eu trente-cinq retours positifs. Certains nous ont écrit qu’ils n’avaient pas pu se mobiliser, qu’ils n’arrivaient pas à travailler en cellule, mais que ça faisait du bien de recevoir le dossier et de savoir qu’on pensait à eux. » « Merci de ne pas nous avoir oubliés », « merci pour vos cours toutes les semaines, ça m’a bien occupé la tête » ou encore « c’était une véritable bouffée d’oxygène » : les petits mots reçus par cette enseignante témoignent de l’importance qu’a eu, pour certaines personnes détenues, le maintien de ce rare lien avec l’extérieur.

Une offre encore plus limitée qu’à l’ordinaire

Fin mai, les cours en présentiel reprennent peu à peu, en petits groupes, prioritairement pour les étrangers et les illettrés, avant que les vacances d’été ne viennent conclure l’année scolaire. À la rentrée de septembre, les enseignants doivent composer avec des règles sanitaires plus lourdes : la taille des groupes est très restreinte et les différents bâtiments ne peuvent plus être mélangés. Des contraintes qui limitent fortement l’offre de cours et le nombre de personnes éligibles. « On était limité à cinq personnes par cours : on a été obligé de cibler et d’en refuser certains. Et nos deux formations CAP n’ont pu être proposées que sur un bâtiment. Il y avait beaucoup de demandes à la maison d’arrêt, mais elles étaient plus nombreuses au centre de détention. Il y a donc eu un choix difficile à faire, qui a beaucoup pénalisé les gens du quartier maison d’arrêt », regrette une RLE.

Élèves et enseignants à bout

Lors du second confinement, si, en théorie, les cours en présentiels sont interdits, certaines unités locales d’enseignement décident de faire fi de cette interdiction et permettent aux enseignants d’aller rencontrer individuellement certains élèves. Une démarche salutaire pour maintenir un lien, mais aussi éprouvante : « La prof de science voyait dix-huit élèves, trente minutes chacun : elle répétait dix-huit fois la même chose », explique une RLE. Dans la plupart des établissements cependant, le second confinement signe le retour aux cours imprimés et aux dossiers auto-correctifs : des méthodes qui, malgré l’investissement des enseignants, découragent de nombreux élèves. « Sur cent-vingt élèves scolarisés, une quarantaine seulement a tenu le coup du distanciel », explique un professeur. Premières affectées par l’enseignement à distance : les personnes illettrées et allophones. « Vous pensez bien que quelqu’un qui ne sait ni lire ni écrire, vous lui envoyez des polycopiés, il ne peut rien en faire », explique un enseignant. « Mes élèves FLE [français langue étrangère] sont les plus motivés, ceux qui me renvoient le plus de choses ! Mais parmi eux, certains ne savent pas du tout lire : c’est complétement infaisable de suivre les cours seuls, ils ont décroché », abonde une autre. « Les exercices sont plus durs sans professeur, parfois il y avait des mots difficiles à comprendre. Je n’ai pas pu comprendre les exercices, j’ai besoin d’être accompagné », écrit ainsi un détenu à son enseignante.

Certains ne savent pas du tout lire : c’est complétement infaisable de suivre les cours seuls, ils ont décroché.

Depuis la mi-janvier, les cours collectifs reprennent petit à petit dans les établissements pénitentiaires, proposés prioritairement aux détenus très éloignés de l’écrit. Les règles de distanciation sociale limitant drastiquement le nombre de participants (les salles de classes étant généralement très petites), la distribution de cours papiers en cellule est maintenue pour les autres élèves. Une situation qui reste précaire et susceptible de rebasculer à tout moment – notamment lorsque des clusters sont déclarés. L’enseignement en présentiel, qu’il soit individuel ou collectif, est alors à nouveau temporairement interdit dans ces établissements. Cette perspective effraie plus d’un enseignant : « Si on lâche complétement les gars pendant trois semaines, on n’arrivera jamais à les récupérer ! On voit leur motivation baisser chaque semaine. Si on ne vient pas, on va totalement les perdre de vue », s’alarme un professeur. « Au début, les élèves renvoyaient des trucs, mais là personne n’en voit le bout, on n’en peut plus, ça n’a plus de sens, on les perd complétement », admet une enseignante, elle aussi sur les rotules. « On sent un essoufflement de la part des personnes détenues, et notamment des plus fragiles, confirme un proviseur. Si les plus motivés, ceux qui préparent des examens par exemple, restent encore un peu mobilisés, beaucoup de détenus ont abandonné. » Les enseignants doivent en outre faire face à un autre défi : raccrocher au scolaire les nouveaux entrants. Or, « intégrer dans un processus de formation des élèves sans les avoir vus, pouvoir les accompagner sans les rencontrer et les connaitre, c’est forcément plus difficile. Le lien qui se noue en présentiel est vraiment essentiel, beaucoup de choses se jouent par le regard, par la parole, par le geste… », regrette encore le proviseur.

par Charline Becker

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