Un an après l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, les conditions de détention restent indignes dans les prisons françaises, alerte, dans une tribune au « Monde », un collectif de magistrats, avocats et observateurs.
Une tribune collective signée par Estellia Araez, présidente du Syndicat des avocats de France (SAF) ; Delphine Boesel, présidente de la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP-SF) ; Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature (SM) ; Laurence Roques, présidente de la commission Libertés et droits de l’homme du Conseil national des barreaux (CNB) ; Ivan Guitz, président de l’Association nationale des juges de l’application des peines (Anjap) ; Catheline Modat, présidente de la Fédération nationale des unions de jeunes avocats (Fnuja) ; Amélie Morineau, présidente de l’association des Avocats pour la défense des droits des détenus (A3D) ; Christian Saint-Palais, président de l’Association des avocats pénalistes (ADAP) et parue dans Le Monde du 18 février 2021.
L’État français doit faire cesser les conditions de détention indignes. C’est la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui le lui a enjoint dans un arrêt du 30 janvier 2020 à l’enjeu primordial. Elle demandait alors à la France de mettre ses prisons en conformité avec les exigences de dignité et de remédier à la surpopulation structurelle de ses établissements pénitentiaires. Elle souhaitait également la création d’un recours effectif permettant aux personnes détenues soumises à des conditions de détention indignes de faire valoir leurs droits.
Un an plus tard, quelles mesures ont été prises ?
Le gouvernement est aujourd’hui mis en demeure de répondre à l’injonction européenne concernant la création d’une voie de recours. Sous la pression contentieuse, deux des plus hautes juridictions françaises ont en effet tiré les conclusions qui s’imposaient de la condamnation de la CEDH.
Des incarcérations de nouveau en hausse
La chambre criminelle de la Cour de cassation d’abord, qui, dans un arrêt du 8 juillet 2020, a rappelé le devoir du juge judiciaire d’apprécier les conditions matérielles de détention et, en l’absence de remède à la situation, d’ordonner la remise en liberté.
Le Conseil constitutionnel a ensuite, le 2 octobre, sommé le Parlement d’intervenir avant le 1er mars 2021 pour adapter son cadre juridique. A quelques jours de l’échéance, il apparaît cependant de plus en plus clairement que cette exigence ne sera pas respectée, preuve s’il en fallait du peu d’empressement des autorités à se conformer tant au droit européen qu’à la Constitution.
Derrière ce succès, se cache une situation bien moins satisfaisante : les incarcérations n’ont pas tardé à retrouver leur rythme de croisière, pour aujourd’hui battre de nouveau à plein. Et nombre de maisons d’arrêt connaissent désormais des taux d’occupation supérieurs à 150 %, qui sont tout à la fois contraires à la dignité humaine et incompatibles avec le respect des gestes barrières qu’impose la situation sanitaire.
Malgré ces signaux alarmants, le ministère de la Justice laisse peu d’espoir quant à l’adoption de mesures suffisantes pour mettre un terme à la surpopulation carcérale. Croyant encore à sa propre prophétie, il prétend que la loi de programmation pour la justice du 23 mars 2019 suffira à endiguer le phénomène. C’est oublier qu’au-delà du caractère principalement incantatoire de ces dispositions, il est acquis que son application va tout au contraire mécaniquement conduire à l’augmentation de la population carcérale, conséquence notamment de l’abaissement du seuil d’aménagement des peines des condamnés libres. Le gouvernement cède plus encore aux sirènes des constructions immobilières, oubliant là aussi, que cette voie est sans issue : l’ensemble des statistiques pénales démontre que plus elle construit de places de prisons, plus la justice les remplit.
Pas d’incarcérations sans conditions d’accueil acceptables
Il est aujourd’hui impératif que le gouvernement et le Parlement admettent les termes exacts de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, qui requièrent une « résorption définitive de la surpopulation carcérale ». La mise en place d’un mécanisme de régulation empêchant toute incarcération dans un établissement n’offrant pas des conditions d’accueil acceptables peut de ce point de vue jouer un rôle préventif utile. Tout comme l’instauration d’un recours effectif devant les tribunaux, par lequel les détenus pourraient contester les mauvais traitements auxquels ils sont soumis.
Plus largement, les pouvoirs publics ne peuvent plus se dispenser d’une révision profonde des facteurs d’emprisonnement, sans quoi la machine à incarcérer ne se mettra jamais à l’arrêt. La lutte contre le surpeuplement des prisons requiert d’intervenir sur une série de paramètres (détention provisoire, conditions de jugement, étendue de la réponse carcérale, durée des peines, dispositifs de libération, alternatives, etc.), qui ont été énoncés précisément par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe. Celui-ci a également défini une méthode : une implication large des acteurs de la chaîne pénale et de la société civile doit donner à la réforme pénale une assise suffisante pour résister aux risques d’instrumentalisation du politique.
Acteurs quotidiens de la justice pénale ou observateurs attentifs du monde carcéral, nos associations, organisations et syndicats proposent depuis plusieurs années des solutions concrètes aux décideurs publics. Alors que gouvernement et Parlement sont désormais dos au mur, cernés par les condamnations européennes et nationales, nous les appelons à se rendre à l’évidence : il est urgent d’engager un mouvement de décroissance carcérale et de protéger et respecter les droits fondamentaux des personnes détenues. Nos propositions sont là. Alors, agissez !