Dans un rapport de 2010, une criminologue de l’Université de Montréal fait le récit du suivi en milieu ouvert d’une personne condamnée pour agression sexuelle, qu’elle a réalisé sur la base de la méthode du « Good Lives Model ». Extraits.
Histoire délictuelle
« Monsieur w est un homme de 50 ans condamné à une peine de 18 mois d’emprisonnement assortie d’une ordonnance de probation de 2 ans [pour] des accusations d’agression sexuelle [à l’encontre] d’une fillette âgée de 3 et 5 ans au moment des événements. Le client ne possède aucun antécédent criminel. (…) La victime était inscrite à la garderie familiale de sa conjointe, située au domicile du sujet. Les agressions sexuelles se seraient toujours produites pendant la sieste des enfants, alors que la victime n’arrivait pas à trouver le sommeil. Monsieur w faisait signe à sa victime de venir le rejoindre. Il lui bandait alors les yeux avant de l’inciter à toucher son pénis ou à lui faire une fellation. »
Évaluation du risque et des besoins
« L’échelle utilisée est la STATIQUE-99. Monsieur w a obtenu un score de 1 [faible risque]. L’unique facteur de risque statique qu’on peut accoler à monsieur w est la présence d’une victime n’ayant pas de lien de parenté avec lui. Les besoins criminogènes de monsieur w ont pu être cernés à l’aide d’un second outil actuariel, le STABLE 2007. Il a obtenu un score de 7 sur 26 points, ce qui correspond à un niveau de besoins modéré. »
« Un premier besoin criminogène ciblé par l’évaluation est une difficulté sur le plan de l’intimité. Bien qu’il ait longtemps cohabité avec son ex-conjointe, monsieur w n’entretenait aucune relation intime au moment de l’évaluation. Il souligne que la relation qu’il entretenait avec sa femme au moment des délits était teintée de nombreux conflits. De surcroît, il a admis éprouver de la difficulté à aborder les femmes en général et craindre d’être rejeté par elles. Par ailleurs, son réseau social n’était constitué que de ses deux sœurs et il n’avait aucune activité sociale. Il disait vivre du rejet et de la solitude et que cette situation était souffrante pour lui. Ensuite, le fait que la victime de monsieur w se trouvait au stade pré-pubère au moment des agressions et qu’il ait verbalisé avoir été attiré physiquement par elle nous indique la possibilité d’un intérêt sexuel déviant. »
« Good Lives Model » (identification des besoins primaires)
« Au moment des délits, monsieur w rapporte que la communication dans son couple était quasi inexistante et que les échanges tournaient principalement autour des conflits qui subsistaient entre eux. Monsieur w pouvait éprouver des difficultés relativement à son besoin d’être en relation, soit de se sentir aimé et soutenu. (…) Il vivait également des changements sur le plan professionnel, il entreprenait un nouvel horaire, travaillant le soir, et éprouvait de la difficulté à dormir étant donné que sa conjointe tenait une garderie à leur domicile durant la journée. Ajoutons à cela que monsieur w éprouvait des problèmes de santé physique (diabète). Ces éléments indiquent une difficulté dans l’atteinte du besoin primaire d’être en bonne santé [besoin de vie]. Monsieur w rapporte avoir été longtemps actif sur le plan social et avoir considéré cet aspect comme important pour son épanouissement [besoin de socialisation]. Or, au moment des passages à l’acte, il avait abandonné toutes ses activités sociales depuis quelques années pour plaire à sa conjointe et se consacrer entièrement à sa famille. Enfin, monsieur w a affirmé à plusieurs reprises qu’il se sentait contrôlé par sa conjointe à l’époque des passages à l’acte et qu’il éprouvait le sentiment de ne pas être libre et maître de lui-même, (…) il pouvait y avoir un problème en ce qui concerne l’atteinte des besoins d’autonomie et de pouvoir.
Il semble donc que certains besoins primaires de monsieur w n’étaient pas comblés au moment des passages à l’acte. Bien qu’il dise avoir ressenti ces manques à cette époque, il ne semble pas avoir été en mesure d’appliquer des stratégies adéquates visant à les combler. En e et, il manquait d’habiletés dans les domaines de la résolution de problèmes, de la gestion des émotions et de l’affirmation de soi. (…) Il a ainsi pu tenter de combler son besoin de pouvoir en exerçant celui-ci sur sa victime. Monsieur w a aussi pu utiliser la fillette dans le but de combler ses besoins d’affection et de sexualité. Enfin, sa difficulté à bien gérer les émotions d’anxiété suscitées par ses problèmes sur les plans professionnel et de la santé a pu l’amener à recourir à la sexualité déviante comme mécanisme d’adaptation. (…) A défaut d’avoir été capable de satisfaire adéquatement ses besoins de vie primaires avec les adultes, il s’est tourné progressivement vers un enfant, avec qui il lui semblait plus facile de combler ses besoins. »
Traitement (2 séances de groupe et 1 entretien individuel par semaine)
«Dans le cadre des rencontres individuelles, un premier objectif fut de l’amener à déterminer les buts qu’il poursuivait par l’intermédiaire des délits sexuels et comment cela pouvait être mis en relation avec ses besoins de vie primaires. Pour ce faire, le “Good Lives Model” a d’abord été présenté à monsieur w. Il a été amené à réfléchir à ses besoins et à la façon dont il tentait d’y répondre au moment des passages à l’acte.
Par la suite, il fut nécessaire de sélectionner les besoins de vie prédominants dans la vie du sujet. Les besoins centraux trouvés par le délinquant furent, par ordre de priorité : la sécurité sur le plan financier, la famille, la socialisation, l’affection et l’intimité avec une femme. Pour chacun de ces besoins, des buts précis furent établis par monsieur w. Relativement à la sécurité financière, monsieur w souhaitait se trouver un emploi en priorité. Il a été amené à définir ses attentes, tout en demeurant vigilant par rapport à ses situations à risque. Par exemple, le sujet a pris conscience que certains horaires de travail risquaient de lui occasionner des problèmes de sommeil ainsi que des émotions négatives. Un deuxième objectif du plan de vie de monsieur w était de se rapprocher des membres de sa famille immédiate. Ensuite, monsieur w souhaitait être plus actif sur le plan social, tout comme il l’avait été avant son mariage. Il éprouvait toutefois de la difficulté à déterminer ses attentes sur ce plan et fut donc renvoyé à la travailleuse sociale. Enfin, un dernier besoin était l’intimité avec une femme, sachant que monsieur w était alors célibataire. Il fut amené à cibler les caractéristiques qu’il recherchait chez une femme, ainsi que des moyens concrets pour rencontrer une personne. Quant à la satisfaction de ses besoins en matière de sexualité, (…) nous l’avons conscientisé à l’importance de demeurer à l’écoute de ses besoins et à trouver des moyens de rechange lui permettant de se satisfaire adéquatement en l’absence d’une relation avec une femme.
Parmi les habiletés ou conditions nécessaires à la satisfaction adéquate de ses besoins (…), il fut établi que monsieur w devrait travailler à acquérir plus d’habiletés sociales pour entrer en relation avec les femmes. Les habiletés en matière de résolution de problème furent également ciblées comme objectif de traitement, de même que les habiletés de gestion des émotions et d’affirmation de soi. En plus des ateliers de groupe, les différents moyens utilisés afin d’aider monsieur w dans l’acquisition de ces compétences furent la discussion, le jeu de rôle, l’auto-observation, l’écriture, ainsi que l’application de certaines habiletés dans son quotidien. A titre d’exemple, monsieur w a été amené à s’affirmer par rapport à son ex-conjointe en lui adressant une demande relative à la garde de leurs enfants. »
Progrès en traitement
« La réponse de monsieur w en début de suivi fut plutôt passive, il éprouvait de la difficulté à se mettre en action et ne parvenait pas à mettre en application, dans son quotidien, les stratégies apprises. Toutefois, il continuait d’assister aux rencontres individuelles bien que cette portion du traitement ne lui soit pas imposée. Peu à peu, il parvint à s’activer et il décrocha un emploi convenant à ses besoins. A partir de ce moment, il se montra plus ouvert à participer à des activités sociales et à faire preuve d’affirmation de soi. Relativement à son besoin de se rapprocher de ses enfants, monsieur w a dû fournir des efforts considérables afin de s’affirmer devant son ex-conjointe. Il semble qu’il ait pu en constater les bénéfices puisqu’il a obtenu le droit de recevoir ses enfants à son domicile.
Quant à la sphère sociale, (…) c’est plus tardivement qu’il commença ses démarches, notamment auprès de la travailleuse sociale. En fin de suivi, il avait commencé à nommer des activités qui pourraient l’intéresser et en était à ses premières démarches. Nous avons su qu’il s’était inscrit à une activité de danse et qu’il y avait rencontré une femme. Enfin, un travail important a dû être effectué par monsieur w sur le plan de la gestion des émotions négatives. (…) A cet égard, il a utilisé diverses techniques afin de ventiler ses émotions négatives et a réussi à faire des demandes et à s’affirmer par rapport aux personnes concernées. »
Julie Lefrançois, Le modèle des vies saines appliqué dans le traitement de délinquants sexuels suivis dans la communauté. École de criminologie/Université de Montréal, 2010.