Une nouvelle loi contre le terrorisme a été promulguée le 3 juin dernier. Élaborée sous le coup de la peur et de l’émotion générées par les attentats de novembre, elle a été adoptée dans un climat de populisme pénal, par un Gouvernement et un Parlement qui multiplient les atteintes à l’état de droit et s’affranchissent des engagements internationaux de la France en matière de droits de l’homme.
Dans la foulée des attentats de novembre, dans un pays sous état d’urgence, le Gouvernement a élaboré son cinquième texte anti-terroriste du quinquennat. Présentée dans le cadre d’une procédure accélérée, cette loi « renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement » a été adoptée au pas de course. Déplorant « une prolifération de textes législatifs relevant davantage d’une approche politique et émotionnelle que d’un travail législatif réfléchi », la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), qui n’a au demeurant pas été consultée, a dénoncé la pauvreté des débats et la dérive sécuritaire. « Tout se passe comme si la simple invocation d’une plus grande efficacité de la lutte contre le terrorisme pouvait justifier l’adoption, sans aucune discussion, de mesures attentatoires à la liberté », relevait-elle. Car l’objectif de la loi est clairement affiché : il s’agit d’inscrire dans le droit commun des mesures inspirées du régime de l’état d’urgence, et donc dérogatoire au droit commun. Sur les contrôles d’identité et fouilles, les perquisitions de nuit, les assignations administratives à résidence, les techniques de surveillance… l’exécutif et les services de police voient leur pouvoir et leur champ d’action accrus, avec une diminution des garanties procédurales et du contrôle du juge. Dans le champ pénitentiaire aussi, la régression est de taille. Avec des amendements présentés parfois en catimini, le Gouvernement réintroduit des dispositions rejetées lors de précédents débats parlementaires – sur le renseignement –, entérine des dispositifs d’exception – les unités dédiées – et renie des droits acquis de haute lutte avec des mesures profondément attentatoires à la dignité – sur les fouilles à nu ou la perpétuité incompressible. Ce faisant, il foule une nouvelle fois au pied ses engagements passés et reste sourd aux interpellations des organes de protection des droits de l’homme.
Autorisation des fouilles à nu collectives
Appelé à examiner la situation de la France au regard de la Convention contre les peines et traitements cruels, inhumains et dégradants, le Comité anti-torture des NationsUnies a été clair. Dans ses observations finales, le 13 mai dernier, il a enjoint à l’Etat français de conférer un caractère « exceptionnel » aux fouilles à nu en prison et d’assurer un « strict contrôle des règles établies par la loi pénitentiaire de 2009 ». C’est-à-dire à ne permettre d’y recourir qu’en cas d’indices sérieux laissant craindre la possession par la personne visée de substances ou objets interdits voire dangereux susceptibles d’échapper à la détection par matériels techniques ou palpation. Le rappel n’est pas anodin. Derrière, ce sont les pratiques de l’administration pénitentiaire (AP) qui ont été condamnées. Celle, dénoncée par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), du maintien illégal, « dans de multiples établissements », de fouilles à nu systématiques lors de « transferts, extractions médicales et judiciaires, retour de permission de sortir, fouilles de cellule ou placements au quartier disciplinaire » (QD), dans des lieux parfois aussi sordides que les douches, le couloir du QD, une salle d’activité, voire un local poubelle[1]… Ou encore le procédé consistant, pour contourner la loi, à ne pas fouiller tous les détenus à l’issue des parloirs mais la plupart d’entre eux, jusqu’à « près de 73 % » dans certaines prisons.
Mais de ces condamnations, les pouvoirs publics n’en ont cure. Plutôt que de rappeler à l’ordre l’AP, le Gouvernement a été à l’origine d’un amendement confortant ces pratiques attentatoires à la dignité. L’administration est désormais autorisée à ordonner, « indépendamment de la personnalité des personnes détenues », des fouilles à nu dans les « lieux » où l’on peut raisonnablement « soupçonner l’introduction » en prison de substances et objets interdits ou dangereux. En d’autres termes, tous les détenus pourront être contraints de se dénuder, si besoin avec recours à la force, à l’issue des visites de leurs proches ou dans les greffes lors de retour de permission, d’extraction ou après un transfert. Et ce sans pouvoir contester la mesure devant les juridictions administratives. En principe, l’administration ne pourra recourir à ces méthodes que pour un « temps déterminé », mais il lui suffira d’alléguer avoir trouvé des objets pour y recourir à nouveau. La situation est d’autant plus alarmante que ces dispositions ont été adoptées sans débat. Pour justifier ce coup porté aux droits fondamentaux et aux engagements de la France en termes de prévention de la torture, le garde des Sceaux s’est contenté de dire que la « situation appelle une évolution de la réglementation ». Sans autre argument. A l’exception d’un député et d’une sénatrice qui se sont alarmés d’une « régression importante de notre droit », le Parlement a suivi. Restant sourd aux observations du Comité anti-torture onusien ou aux analyses du Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP). Ce dernier avait en effet rappelé que les dispositions de la loi de 2009 « n’empêche[nt] pas de veiller à la sécurité en détention » et que les « craintes liées à l’entrée d’armes ou d’explosifs » voire à la « facilitation de préparatifs d’évasion ne se sont pas révélées fondées ». Sourd aussi aux alertes de la CGLPL qui a déploré une dérive « inadmissible », d’autant qu’« aucune donnée significative ne permet de démontrer que l’instauration par la loi pénitentiaire d’un cadre restrictif de recours aux fouilles à nu a eu pour conséquence d’augmenter l’introduction d’objets interdits en détention ».
Consécration de la mort pénale
Même hermétisme concernant la réclusion criminelle à perpétuité. Alors que le 14 avril dernier, le président du Comité européen de prévention de la torture du Conseil de l’Europe (CPT) a rappelé qu’il est « inhumain d’incarcérer une personne à vie sans lui offrir aucune perspective de libération », le Sénat s’est félicité, en mai, de la consécration par la commission mixte paritaire de dispositions « tendant à empêcher la libération des personnes condamnées à perpétuité pour crime terroriste ». Les parlementaires en ont en effet durci les conditions de manière à « être encore plus certains » que les condamnés à la perpétuité incompressible « ne pourront jamais être libérés ». Concrètement, l’espoir d’une libération ne pourra naître qu’après trente ans de détention minimum[2] et il pourra être tué dans l’œuf si l’on estime que la levée du caractère incompressible de la période de sureté, préalable indispensable à toute possibilité d’aménagement de peine, est « susceptible de causer un trouble grave à l’ordre public ». En amont, l’avis des victimes sera recueilli, ainsi que celui d’une commission composée de cinq magistrats de la Cour de Cassation. Et une « évaluation de la dangerosité » devra être réalisée par trois experts médicaux. Avec des conditions tellement strictes, la perspective d’une libération devient purement formelle. Cela équivaut à une « peine de mort », pour le magistrat Denis Salas, qui considère qu’il « n’y a pas de différence entre une détention en attendant l’exécution et une détention en attendant la mort ».
Enferré dans le populisme pénal et l’affirmation de la puissance punitive comme principale réponse au terrorisme, le Parlement a également durci les conditions d’octroi d’une libération conditionnelle pour toutes les infractions en lien avec le terrorisme[3]. Que ce soit pour avoir participé à une entreprise terroriste, s’être rendu sur le théâtre d’opérations en Irak ou en Syrie ou pour avoir envoyé de l’argent à quelqu’un sur place. Dans tous les cas, la décision ne pourra être prise que par un tribunal d’application des peines – c’est- à-dire par trois magistrats, au lieu d’un en principe – après « avis d’une commission chargée de procéder à une évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité » du condamné. La mesure devra être assortie d’un « placement sous surveillance électronique mobile » (un bracelet doté d’un GPS). Ou, à défaut, n’être accordée qu’après l’exécution, à titre probatoire, d’une semi-liberté, d’un placement à l’extérieur ou d’un placement sous surveillance électronique pendant une période d’un à trois ans. Même si l’avis de la commission est favorable, et le projet d’insertion de qualité, le tribunal pourra refuser d’accorder la mesure, s’il estime qu’elle est « susceptible de causer un trouble à l’ordre public »[4]. Là encore, l’intention du Parlement est explicite : « empêcher l’accès » de ces condamnés « à la libération conditionnelle » – sans se demander s’il n’est pas préférable que ces personnes généralement désaffiliées sortent dans le cadre d’un projet d’insertion balisé, plutôt que sans rien en bout de peine.
Pour tous les aménagements de peine, les mesures alternatives comme le sursis avec mise à l’épreuve, le contrôle judiciaire ou les mesures de contrôle après l’emprisonnement, le Parlement a par ailleurs ouvert la voie à des placements en centre de dé-radicalisation. La loi prévoit que les condamnés peuvent être contraints à « une prise en charge » visant « l’acquisition des valeurs de la citoyenneté », qui peut « intervenir au sein d’un établissement » dans lequel ils sont « tenu[s] de résider »[5]. Un projet aux contours flous. Interrogé à quelques jours de la promulgation de la loi, le garde des Sceaux a déclaré ne pas pouvoir dire grand-chose à ce sujet. Une fois encore, on adopte dans la précipitation des dispositions sans contenu, ni réflexion préalable.
Intégration de la pénitentiaire à la communauté du renseignement
Autre source d’inquiétude : l’autorisation donnée à l’AP d’utiliser des techniques des services de renseignement. Le Parlement a entériné deux régimes d’utilisation de ces techniques. Le premier, sous le contrôle du procureur de la République, permet à l’administration, pour des motifs d’ordre interne – « prévenir les évasions » et « assurer la sécurité et le bon ordre des établissements » – de recourir à des outils tels les « IMSI-Catchers », de fausses antennes relais qui interceptent les communications et les données de connexion de toutes les personnes détenant un téléphone ou un ordinateur dans un rayon pouvant aller jusqu’à 500 mètres. « A partir d’un tel procédé, les données de personnes non détenues présentes dans l’établissement ou à proximité (riverains, avocats, magistrats, autres personnels de justice, etc. » peuvent être « systématiquement recueillies », note la CNCDH. Elle dénonce « un risque d’atteinte grave » à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège le droit à la vie privée. Mais, là encore, le Parlement a préféré ignorer. Le second régime dote l’administration de pouvoirs encore plus exorbitants, en dépit de l’opposition tant de la CNCDH que de la CGLPL. En l’intégrant à la communauté du renseignement, aux côtés de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ou de la direction du renseignement militaire, la loi la met en position d’accéder à toutes les techniques du renseignement : écoute de personnes ciblées et de leurs proches, recours aux IMSI-Catchers, pose de micros ou de caméras cachées dans n’importe quel local (cellule, parloir, etc.), captations de données contenues dans un ordinateur, etc. Ce, pour des finalités potentiellement très larges, comme la défense de « l’intégrité du territoire », la « prévention du terrorisme » et des « atteintes à la forme républicaine des institutions », ou encore « la prévention de la criminalité et de la délinquance »[6]. Un décret – attendu pour la rentrée – devra préciser les techniques employables et les finalités visées. Mais, avec ce texte, les parlementaires ont donné un véritable blanc-seing à un Gouvernement qui navigue à vue. Car, de l’aveu du ministre de la Justice, il n’y a « pas de doctrine » du renseignement pénitentiaire. « Aucun pays démocratique » n’a fait ce choix, relève-t-il d’ailleurs, sans plus s’interroger. Les risques liés à l’emploi par des agents pénitentiaires de techniques particulièrement intrusives vis-à-vis d’un public captif, sur la base de procédures non-transparentes, voire peu fiables, n’ont pas été étudiés. Or, quelle peut être la nature de la relation entre détenus et agents, si derrière tout surveillant ils voient un espion potentiel ?
Consécration des unités dédiées aux détenus radicalisés
Les parlementaires ont aussi souhaité donner une assise législative au dispositif contesté des unités dédiées pour les détenus considérés comme radicalisés, bien que le ministre de la Justice ait lui-même admis qu’il n’est « pas capable de dire » si cette logique de regroupement « est une bonne » ou une « mauvaise solution »et qu’il eut été préférable d’en rester au stade de l’expérimentation. Le champ des personnes visées laisse par ailleurs perplexe. Le dispositif est réservé aux « personnes exécutant une peine privative de liberté »[7], c’est-à-dire aux condamnés, alors qu’actuellement, ce sont essentiellement des prévenus qui sont affectés dans ces unités. La rédaction du texte est en outre préoccupante. En permettant l’affectation en « unité dédiée » des personnes détenues dont on estime que le comportement porte atteinte au « maintien du bon ordre » – un mot valise –, elle ouvre la voie à la multiplication de régimes spécifiques, sans encadrement. « Nous sommes dans un Etat de droit » et si « nous luttons contre le terrorisme en (l)’abandonnant (…) nous consacrons la victoire de tous les terroristes », a récemment fait valoir Bernard Cazeneuve devant la presse. Cette déclaration purement incantatoire a des résonnances amères, quand le Gouvernement multiplie les coups portés aux libertés fondamentales et reste sourd aux condamnations de la communauté internationale comme de la CNCDH, qui l’a pourtant mis en garde contre des mesures qui « aboutirai[en]t à saper, voire détruire la démocratie au motif de la défendre ».
Marie Crétenot.
[1] CGLPL, Lettre aux membres de la commission mixte paritaire, 3 mai 2016.
[2] Certains parlementaires ont même voulu porter ce délai à quarante, voire cinquante ans.
[3] A l’exception des délits d’apologie du terrorisme et de consultation de sites faisant l’apologie du terrorisme.
[4] Article 730-2-1 nouveau du code de procédure pénale.
[5] Article 132-45 modifié du code pénal.
[6] Article L.811-3 du code de la sécurité intérieure.
[7] Article 726-2 nouveau du Code de procédure pénale.