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Mauzac, la prison des champs

Au milieu d’un domaine agricole de près de cent hectares, se dresse la prison de Mauzac-et-Grand-Castang, un des deux établissements pénitentiaires sans murs d’enceinte en France. Au-delà, des champs, à perte de vue. Mauzac aurait pu constituer un projet pilote en amenant d’autres. Mais presque trente ans après sa construction, le modèle initial de cette prison « ouverte » est mis à mal. Mauzac, ce sont en réalité deux camps bien distincts, pour une capacité totale de 369 places : l’« ancien » et le « nouveau » centre, situés de part et d’autre du canal de Lalinde. Seul le « nouveau » centre présente une architecture et un régime de détention novateurs.

Une prison pavillonnaire

« Prison modèle », le nouveau centre de Mauzac a été conçu entre 1984 et 1986 par les architectes Christian Demonchy et Noëlle Janet. Pensé comme un village, il se compose de 21 pavillons comportant chacun 12 cellules individuelles, réparties sur deux étages. S’y ajoute une « unité de vie » regroupant cuisine, douches et salle commune. Les 252 détenus occupant les pavillons ont tous la clé de leur cellule. « Il n’y a ni couloirs, ni coursives, ni sas, ni caméras, ni serrures électriques », précise Christian Demonchy. Les détenus peuvent circuler librement sur le domaine, toute la journée. Il n’y a pas de cour de promenade entourée de hauts murs, « ce dispositif typiquement pénitentiaire qui instaure une ségrégation entre la population pénale et les personnels ». Elle a été remplacée par l’« agora », une place arborée, située au centre de l’espace pavillonnaire et délimitée par des bancs. « Le cahier des charges exprime clairement sa fonction sociale : c’est le lieu privilégié de rencontres », notamment entre détenus et surveillants.

© CGLPL

A l’inverse des prisons traditionnelles, dont l’architecture vise à limiter les contacts humains, celle de Mauzac est toute orientée vers le développement d’une vie sociale à l’intérieur des murs. Contre-pied de l’infantilisation et de la dépendance du détenu à l’égard du surveillant pour chacun de ses actes, la structure de Mauzac « fonde un mode de détention renouvelé », qui « affirme l’autonomie et la responsabilité du détenu comme des valeurs essentielles » : « Chacun peut y maintenir, par-delà l’enfermement, quelques-uns des gestes banals au dehors, qui font l’identité humaine. » Nombre de personnes incarcérées racontent ainsi que leur arrivée dans ce centre, après leur passage dans d’autres prisons, a fait retomber les tensions et violences accumulées. En septembre dernier, l’un d’eux écrivait à l’OIP : « Mauzac m’a permis de retrouver l’équilibre, le calme, le respect de moi-même. »

Le concept novateur du nouveau centre, dont le coût de construction fut moins élevé que celui d’une prison classique1, n’a jamais été repris, au prétexte qu’il ne serait adapté qu’à une part infime des personnes détenues triées sur le volet : celles qui ne présentent pas de risque d’évasion. Un argument qui ne tient pas quand on sait qu’au Danemark, les prisons ouvertes représentent 60 % des places en établissement pour peines. Un chercheur danois raconte que ce mouvement a été amorcé avec les incarcérations massives d’après-guerre, qui ont obligé l’administration à utiliser des baraquements. Les autorités ont alors « pris conscience que des prisons pouvaient fonctionner avec un très faible niveau de sécurité et un régime de détention libéral ». En France, la construction de Mauzac « était à peine terminée qu’Albin Chalandon, succédant à Robert Badinter, préparait déjà ce qui allait aboutir au programme 13 000, avec un cahier des charges des plus classiques ». Des constructions qui tourneront le dos à l’avancée ainsi manifestée, « peut-être d’ailleurs plus par rejet d’une politique qui dévoile l’univers insoupçonné des possibles, inenvisageables pour l’institution pétrifiée ». « Mauzac aurait pu être une sorte de laboratoire d’observation et d’expérimentation d’un nouveau système carcéral », mais « il n’y a eu aucun retour d’expérience sur cette conception très particulière et elle n’eut donc aucune suite », regrette Christian Demonchy.

© CGLPL

L’ancien centre, modèle inversé

Construit par l’armée allemande comme camp de prisonniers pendant la guerre, l’ancien centre a pour sa part été entièrement reconstruit suite à un incendie en 2003. Jusqu’à cette date, les huit baraquements délabrés sont restés utilisés. L’un d’eux était dédié aux parloirs. Incarcéré dans les années 1990, monsieur C. se souvient de conditions de visite exceptionnelles : « Ma famille restait la journée : de 8 h à 12 h et de 13 h 30 à 17 h 30. » Seuls deux baraquements étaient utilisés pour la détention d’environ 80 personnes. Chacun était divisé en deux parties constituées de « chambres » de taille réduite (1,80 m sur 3), sans W.-C. Les toilettes étaient accessibles uniquement en journée car les chambres étaient fermées la nuit. Elles restaient cependant ouvertes jusqu’à 23h deux fois par semaine et jusqu’à 4h du matin lors des fêtes de fin d’année. Et surtout, « on était occupés dehors toute la journée » insiste monsieur C., décrivant le sport et la formation aux champs. « Je garde un souvenir ému du vieux camp, un véritable espace de liberté où les odeurs de la nature te sautaient au nez alors que la prison t’avait privé de tous tes sens ! » Mais il n’oublie pas que les conditions matérielles étaient « super pourries », l’hygiène et la salubrité « limites ». Plusieurs détenus alertaient dès 2000 des risques que faisait courir l’installation électrique. Et l’incendie survint, causant la mort d’un prisonnier. L’ancien camp fut alors détruit pour être rebâti, à l’exact opposé de ce qu’il était, sans s’inspirer non plus de son voisin pavillonnaire. Le bâtiment A (80 cellules) a ouvert en 2005, le bâtiment B (39 cellules) en 2008. L’enceinte s’accompagne d’un grillage, de concertina et d’un bardage en métal qui bloque la vue sur l’extérieur. Le régime de détention est très critiqué pour ses différences avec le nouveau centre : installations matérielles plus vétustes, déficit d’équipements sportifs, peu d’activités, ou encore « manque d’hygiène et d’intimité dans les parloirs », comme l’expliquait à l’OIP un détenu en avril dernier.

La ferme-école, une marque de fabrique

Située à deux kilomètres du centre de détention, la ferme-école est constituée de parcelles, salles de formation et espaces de stockage. Les détenus peuvent y recevoir une formation horticole et y travailler. Cet outil est cependant « largement sous-utilisé », notait le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) en 2010. La situation se serait améliorée depuis, d’après le ministère de la Justice. Peu, si l’on en croit les récents chiffres : en 2014, seules 35 personnes y avaient accès, d’après le rapport d’activité de l’établissement, soit 10 % des détenus. En partie parce que tous ne remplissent pas les conditions d’accès : pour rejoindre la ferme-école, il faut en effet être éligible à un aménagement de peine (placement à l’extérieur). Or, certains détenus sont transférés à Mauzac pour désengorger les établissements surpeuplés de la région, et n’entrent pas dans les critères, ce qui génère une fois sur place « incompréhension et frustration », écrit le juge de l’application des peines. Ainsi, Mauzac « accueille des gens qui n’ont rien à y faire et doit refuser des détenus qui y auraient toute leur place », dénonçait la CGT en 2013. La formation assurée par l’AFAC 24 constitue un préalable au classement au travail à la ferme, réservé à quelques détenus, qui deviennent salariés de sa filiale, l’APES 24. En octobre 2015, seuls quatre détenus y travaillaient, à des activités de maraîchage (culture de légumes sous serre, vendus ensuite aux particuliers). Cette année, la décentralisation des crédits de la formation professionnelle a également conduit à « une période de flottement », indique l’AFAC. « Un mois sans formation, c’est problématique pour tout le monde car les détenus n’ont rien à faire ! », déplorent-ils. Le bilan de la formation est aussi nuancé par certains bénéficiaires. Monsieur F. expliquait cet été qu’il s’agit quasiment d’un « travail d’ouvrier agricole. Exemple : alors que nous sommes là pour préparer un diplôme, on nous appelle souvent pour faire le travail de désherbage et de récolte des détenus embauchés en concession maraichère, sans être rémunérés comme eux à 3,80 € de l’heure. » Outre le service général et la petite activité de production à la ferme-école, des ateliers de concessionnaires sont installés dans la zone d’activités du nouveau centre. En 2014, 126 personnes y travaillaient – tandis que 298 détenus étaient déclarés indigents (soit 85% des détenus de la prison). Et les délais pour obtenir un poste sont longs : quelques mois, un an, voire deux… En mars 2015, monsieur M. indiquait avoir « attendu un an pour travailler ».

En avril, un détenu signale qu’il attend un poste depuis trois ans, tandis qu’un autre s’est vu refuser un stage, « sous prétexte qu’à ma libération je serai à la retraite ». Monsieur V., qui a passé les deux dernières années à Mauzac, estime qu’il y a « très peu de travail. Par exemple en menuiserie, il n’y a du travail qu’une semaine sur deux ». De son côté, monsieur B., qui y vient d’y terminer sa cinquième année d’incarcération, n’a pu occuper un emploi d’auxiliaire que le dernier mois de sa présence.

Vieillissement et manque de soins

Plus de la moitié des personnes détenues à Mauzac ont plus de 50 ans, une sur cinq a plus de 60 ans. Ce vieillissement n’est pas sans incidence sur l’état de santé et la perte d’autonomie des personnes, si bien que le SPIP consacre un temps important à l’obtention de l’allocation aux adultes handicapés. Mais l’unité sanitaire souligne qu’il n’y a « pas de convention de partenariat pour la prise en charge des personnes dépendantes ». Une situation que le manque de médecins spécialistes n’arrange pas. « Le nombre de professionnels reste insuffisant et les listes d’attente longues », note le JAP. Déjà en 2012, le comité de suivi déplorait « la difficulté de recrutement de professionnels qui acceptent de venir travailler en détention ». Tel est le cas des kinésithérapeutes, absents depuis 2010. Les consultations dermatologiques ont baissé (- 48% en 2014) ainsi que les soins dentaires (- 35%). En août 2015, un détenu indiquait aussi n’avoir rencontré de « spécialiste pour [ses] yeux qu’en juin dernier », alors qu’il s’en plaignait « depuis presque deux ans ». En outre, alors que le public accueilli à Mauzac fait souvent l’objet d’une incitation aux soins (puis d’une injonction à leur sortie) – dont dépend l’octroi de réductions de peine supplémentaires et de mesures d’aménagement – la prise en charge psychiatrique est défaillante. Entre 2004 et 2007, aucun psychiatre n’a été en poste. En 2014, seul un tiers temps était pourvu, le psychiatre ayant réduit son temps de présence dans cet établissement qu’un détenu qualifie de « maison de retraite psy ». Encore en août 2015, ce dernier témoignait d’une « attente très longue » pour voir le psychiatre, « trop chargé ». Début octobre, un autre expliquait : « Il m’a été désigné un infirmier psychiatre, mais depuis juillet, je n’ai plus d’entretien. »2

Sortir d’une longue peine

Sur les 334 personnes détenues à Mauzac, 80 % sont condamnées pour des infractions sexuelles et 92 % purgent des peines de cinq ans et plus. Elles subissent de plein fouet les obstacles à l’octroi de mesures d’aménagement pour les longues peines. L’obligation d’une expertise psychiatrique concerne ainsi 60 % des détenus de Mauzac, qui se heurtent au manque d’experts dans la région, tous sur-sollicités, constate le juge de l’application des peines (JAP). Début 2013, ce dernier avait signalé « la situation alarmante des experts », l’un d’entre eux ayant refusé certaines missions faute de paiement des précédentes expertises effectuées. La situation s’est encore aggravée fin 2013 quand « un collège d’experts a cessé son activité ». Avec pour conséquence l’augmentation « considérable » (+ 141 % en 2014) des ajournements en commission d’application des peines, liés aux « retards très importants pris par les experts psychiatres dans la restitution de leurs rapports »3. Les décisions d’octroi de libérations conditionnelles, déjà rares, sont en baisse (huit en 2014 contre quinze en 2013). L’explication viendrait du passage au Centre national d’évaluation (CNE), obligatoire pour une grande partie des condamnés de Mauzac avant de pouvoir y prétendre. Les désagréments d’un transfert à Fresnes ou Réau conduisent « un certain nombre à renoncer », d’autant que la longueur de la procédure rend les projets d’insertion difficiles à maintenir jusqu’à l’examen de la demande. Les détenus se rabattent sur des possibilités d’aménagements de peine sous écrou, qui interviennent plus tard dans l’exécution de la peine, explique le juge. L’octroi de semi-libertés, et surtout de placements à l’extérieur, ont ainsi un peu augmenté (+ 28% en 2014, après deux années de baisse). Le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) a en effet développé la mobilisation de détenus sur « des projets de placements à l’extérieur auprès de structures conventionnées ». Des obstacles liés au délitement des liens familiaux s’observent aussi pour la population incarcérée à Mauzac. « Sur une centaine de personnes libérées, une cinquantaine n’a pas d’hébergement à la sortie » faute de proches acceptant de les accueillir. D’une part, la majorité (65 %) des infractions à caractère sexuel sont commises dans le cadre intrafamilial4. D’autre part, le difficile accès au centre de détention pour les familles décourage les visiteurs. Le train est le seul mode de transport public disponible pour venir à Mauzac, située au coeur de la campagne périgourdine. Depuis la suppression de l’arrêt à Sauveboeuf en 2008, les visiteurs doivent descendre à une gare située à plus de quatre kilomètres. Et terminer le trajet à pieds, sauf à être pris en stop. Parmi les questionnaires reçus à l’OIP en 2015, la moitié fait état d’une absence de visite. Pourtant Mauzac bénéficie d’unités de vie familiale (UVF), offrant des conditions de visite bien meilleures que les parloirs, mais leur taux d’occupation a baissé de dix points entre 2013 et 2014, si bien que le taux mensuel moyen d’occupation était de 50 % en 2014. Faute d’hébergement familial, le SPIP se tourne vers les structures d’accueil, mais leurs capacités sont limitées et « dans la plupart des cas, la nature de l’infraction (AICS) se révèle un frein »5. Une combinaison sans solution selon le SPIP. D’autant que pour ces mêmes raisons, les détenus ont les plus grandes difficultés à obtenir des permissions de sortir, qui leur permettraient justement de se rendre aux entretiens de préadmission exigés par les structures d’hébergement…

Pressions et indics

En 2010, le Contrôleur général dénonçait un mode douteux de gestion de la détention à Mauzac : elle « repose assez exclusivement sur la collecte d’informations auprès de personnes détenues pour disposer d’éléments de connaissance du climat de la détention ». Plusieurs détenus se sont plaints plus récemment à l’OIP de ces dérives. En septembre 2013, l’un d’eux écrivait : « Je vis très mal le fait d’être soumis à des sollicitations de la part de l’administration du centre pour devenir leur “agence de renseignement”. Environ une à deux fois par mois, les responsables me convoquent dans leur bureau pour me demander de leur indiquer si, à ma connaissance, il existe des détenus en possession de produits prohibés. Comme je refuse d’entrer dans ce jeu malsain, tout est bon pour tenter de me faire plier. » Pour un autre, « Mauzac, c’est le royaume de l’hypocrisie et des coups de pression du personnel pour pousser à donner de fausses informations (…). Il y a pas mal de privilèges pour les indics. » Et des difficultés pour ceux qui ne souhaitent pas jouer ce rôle : « Depuis que j’ai refusé son marché de dénoncer quelqu’un qui ne m’a rien fait, j’ai beaucoup de problèmes : déclassement [d’un poste de travail] abusif, comptes-rendus d’incident inventés, numéros de téléphone dés-enregistrés, pressions… En revanche, quand on dénonce le comportement des informateurs, cette personne dit que ce ne sont que des ragots », dénonce un détenu. Ce sont ces « petites choses » accumulées qui jouent sur le moral des détenus et l’ambiance dans la prison, explique monsieur K. : « Perte de documents, cantines bloquées, zèle répressif, usage totalitaire du règlement, dénonciations anonymes et stimulation des délateurs, écoutes téléphoniques, courriers perdus, relations difficiles avec les surveillants, absence de communication… ». Un état d’esprit des personnels pénitentiaires en rupture complète avec l’idée initiale de Mauzac : une prison « lieu de vie », une prison sociale.

Par Delphine Payen-Fourment

(1) P.-M. Thibault, Le défi des prisons « privées », Albin Michel, 1995, « Coût de revient par place 284 000F (…) inférieur à celui des établissements réalisés par la procédure classique (en 1986, 450 000F par place)
(2) Sources : rapports d’activité 2013 & 2014 de l’UCSA (unité deconsultation et de soins ambulatoires aux détenus)
(3) Citations du juge de l’application des peines extraites des rapports d’activité 2013 et 2014 du JAP
(4) Projet loi de finances 2008
(5) Conseil d’évaluation 2013