L’avant-projet de loi relatif à la prévention de la récidive et l’individualisation des peines suscite nombre de déclarations fantaisistes. Dans un contexte de populisme actif abondamment relayé par les médias, retour à l’explication de texte.
Les délinquants qui étaient condamnés à des peines de 5 ans ne vont plus aller en prison
C’est la plus grosse intox distillée autour de la création d’une nouvelle peine de probation. A l’UMP, on annonce « la suppression de la sanction avec la mise en place d’une contrainte pénale : il ne s’agit rien de moins que l’annonce de la fin des peines de prison » (B. Beschizza, communiqué du 30 août). En réalité, la « contrainte pénale » pourra (et non devra) être prononcée « lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas 5 ans ». En clair, si la peine maximale prévue par le Code pénal est de cinq ans ou moins, la peine de probation peut être choisie par le tribunal correctionnel. Mais rien ne l’y oblige : il garde dans tous les cas la possibilité de prononcer un emprisonnement ferme.
Déjà aujourd’hui, le tribunal peut décider d’assortir une peine de prison d’un sursis simple ou d’un sursis avec mise à l’épreuve. Il peut aussi choisir, à la place de l’emprisonnement, une peine de jours-amende, de travail d’intérêt général, de stage de citoyenneté, etc. La contrainte pénale ne viendra que s’ajouter à ces peines « alternatives », qui n’ont jamais empêché un tribunal correctionnel de préférer la prison dans certains cas. 36 % de l’ensemble des détenus condamnés, soit 21961 personnes, purgent ainsi derrière les barreaux une peine de moins d’un an de prison (au 1er janvier 2013).
98 % des délinquants seront laissés en liberté
Au FN, on proclame qu’avec la contrainte pénale « c’est 98 % des délinquants qui vont se retrouver dans la rue » (Le Parisien, 30 août). Cette affirmation farfelue est reprise d’une interview d’Alain Bauer dans Le Figaro : « Si cette mesure concerne toutes les condamnations pour délit de moins de cinq ans, cela représenterait 98 % des décisions avec ou sans sursis ». Le criminologue averti confond la notion de peine prononcée et celle de peine encourue. Les 98 % de peines inférieures à 5 ans prononcées pour délit n’ont aucunement vocation à entrer toutes dans le champ de la contrainte pénale : pour une bonne partie d’entre elles, la peine encourue était supérieure à cette durée. L’auteur d’un vol dans le métro commis avec un complice (deux circonstances aggravantes) encourt par exemple une peine de 7 ans de prison, mais peut très bien être condamné à 10 mois. Il ne pourra pas être sanctionné d’une contrainte pénale, car la peine maximale est supérieure à 5 ans.
La contrainte pénale va s’appliquer aux violeurs et agresseurs
Halte aux chiffons rouges, les crimes ne sont évidemment pas concernés par la contrainte pénale : par exemple le viol, le vol avec arme, l’homicide involontaire, etc. Tout comme les délits passibles d’une peine supérieure à 5 ans: vol avec violence ayant entraîné une ITT de 8 jours, agression sexuelle (autre que le viol) contre un mineur, etc. Ce qui n’empêche pas de chercher à faire peur. « Les peines de cinq ans de prison, ce n’est pas un vol à l’étalage. C’est la détention d’armes, des incitations à la pédopornographie, des tentatives d’agression sexuelle… », agite Brice Hortefeux (BFM-TV, 30 août). Justement si, le vol à l’étalage ou « vol simple » fait partie des infractions visées, puisqu’il est passible de 3 ans de prison et de 5 avec une circonstance aggravante (commission du vol à plusieurs, dans un local d’habitation, dans un établissement scolaire ou dans les transports, dissimulation volontaire de son visage…). Deux circonstances aggravantes sont facilement réunies, auquel cas la contrainte pénale sera exclue (peine encourue : 7 ans), alors qu’elle aurait pu être appropriée dans ce cas. Quant à la tentative d’agression sexuelle, rappelons qu’il s’agit d’une tentative d’attouchement ou d’embrasser quelqu’un sans son consentement. Elle sera exclue de la contrainte pénale en cas de circonstance aggravante : commise en état d’ivresse ou sous l’emprise de stupéfiants, commise par un parent, ou à plusieurs… (peine encourue: 7 ans). Les délits passibles d’une peine de 5 ans ou moins sont par exemple la conduite en état alcoolique, l’usage de stupéfiants, l’outrage à agent, les coups et blessures avec ITT maximale de 8 jours, le harcèlement sexuel… De telles infractions sont loin de nécessiter systématiquement un suivi renforcé, ce qu’imposera la contrainte pénale.
La contrainte pénale n’est pas une vraie peine
La prison reste considérée comme la seule véritable sanction. Toute peine exécutée en milieu ouvert apparaît comme une mesure de clémence, voire une absence de réponse pénale. « Initier un suivi de condamnés hors prison est utopique. C’est un gaspillage de moyens et d’énergie » soutient Rachida Dati (Le Parisien 30.08.11). En réalité, la prison est à la fois la peine la plus punitive, et la moins exigeante. Il n’est rien demandé d’autre au prisonnier que de se tenir tranquille, de purger sa peine en silence et sans incident. La probation exige au contraire du condamné qu’il engage des démarches d’insertion, de soins, de réflexion sur son/ses passage(s) à l’acte et sur les moyens d’éviter une récidive. La contrainte pénale pourra ainsi comporter des obligations décidées au cas par cas : obligation de formation ou de travail, obligation d’indemniser la victime, obligation de soins (consulter un thérapeute ou une structure spécialisée en alcoologie ou toxicomanie)… Les conseillers d’insertion et de probation (CPIP) assurent l’accompagnement et le contrôle de ces démarches. Mais ils sont nombreux à se retrouver avec un effectif de 130 à 250 suivis, ce qui ne permet pas d’assurer un accompagnement suffisant et de qualité pour tous les condamnés. L’annonce de la création de 300 emplois de CPIP en 2014, 150 en 2015, est à saluer. Mais elle ne suffira certainement pas à atteindre l’objectif de 40 personnes suivies par Conseiller annoncé par le Premier ministre, qui nécessiterait de doubler le nombre actuel de CPIP (environ 2 500).
La prison est à la fois la peine la plus punitive et la moins exigeante. Il n’est rien demandé d’autre au prisonnier que de se tenir tranquille, de purger sa peine en silence et sans incident
La prison est la seule garantie contre l’insécurité
L’avant-projet est l’occasion de procès en laxisme dont l’absurdité rencontre peu de limites : « La suppression des peine-plancher et la création d’une nouvelle peine de contrainte pénale préfigurent la poursuite de l’explosion sans précédent de la délinquance » (Eric Ciotti, 20 minutes, 30 août). « Chacun sait que dès lors que les délinquants comprennent qu’ils ne risquent plus d’aller en prison, on observe une explosion de la délinquance » (J-F. Copé, communiqué 30 août). « Chacun sait », mais les études en France ou à l’étranger n’apportent ni la preuve de l’effet dissuasif de l’emprisonnement, ni de son efficacité sur la récidive. Dans la recherche de référence en la matière, des chercheurs canadiens ont recoupé les résultats de 50 études, portant sur plus de 300 000 délinquants.
« Aucune des analyses effectuées n’a permis de conclure que l’emprisonnement réduit la récidive », ni « mis au jour aucun effet dissuasif de l’incarcération ». Au contraire, « l’augmentation de la durée de la peine est associée à une légère augmentation de la récidive. Cette constatation avalise quelque peu la théorie voulant que la prison serve, pour certains, d’école du crime » (Gendreau, Goggin, Cullen, 1999 et 2002). Autre précision de l’expert au Conseil de l’Europe Norman Bishop : les études montrent que « le caractère certain d’être “pris” par la police a plus d’effet dissuasif que la sévérité de la sanction ». Dans les cas où la « détection » est certaine, « la dissuasion est souvent obtenue sans punition ou avec une sanction modérée » (Dedans-Dehors, déc. 2011). En France, les études statistiques attestent de taux de récidive plus importants après une peine de prison qu’à la suite d’une mesure de probation : 72 % des sortants de prison recondamnés dans les 5 ans, contre 58 % des condamnés à un travail d’intérêt général et 52 % pour le sursis avec mise à l’épreuve (Kensey, Lombard, Tournier, 2005). Rappelons aussi que l’emprisonnement n’équivaut pas à une parfaite « neutralisation ». Nombre d’infractions pénales ont lieu en prison et n’en sont pas moins graves parce que leurs victimes sont des codétenus ou des agents pénitentiaires. En 2012, l’administration pénitentiaire a recensé 8 861 « agressions» entre personnes détenues et 21 281 «agressions contre le personnel » (dont 79 % de violences verbales).
La peine de probation existe déjà
«Cette peine de probation c’est une invention, c’est une chimère, c’est l’équivalent d’une peine de prison avec sursis mais sans l’épée de Damoclès de la prison derrière » (P. Ribeiro, syndicat Synergie-Officiers, BFM-TV, 30 août). Il y a du vrai et du faux dans ces propos. Faux: l’épée de Damoclès de la prison ne disparaît pas, puisqu’en cas de non respect de la contrainte pénale par le condamné, le juge de l’application des peines pourra « ordonner l’emprisonnement » (article 9 de l’avant-projet du 4 septembre).
Vrai: la proximité entre la contrainte pénale et le sursis avec mise à l’épreuve (SME) est flagrante. Les obligations qui peuvent être imposées sont quasiment les mêmes. La contrainte pénale doit concerner des personnes pour les- quelles un accompagnement socio-éducatif renforcé est nécessaire, ce qui est déjà possible dans le cadre d’un SME… L’apport d’une peine de probation était d’instaurer le suivi en milieu ouvert comme peine à part entière, distincte de l’emprisonnement. Il y avait là un changement de paradigme : passer d’une peine conçue pour châtier et faire souffrir à une peine visant la réhabilitation et la prévention de la récidive. Cette option se retrouvait dans le terme « peine de probation », pas dans celui de « contrainte pénale », inspiré de la veille logique.
Sa création n’avait de sens qu’en remplacement des peines alternatives actuelles (SME, TIG…), afin d’affirmer la probation comme peine de référence pour la majorité des délits. Un choix que n’ose pas faire le Gouvernement, qui se contente d’annoncer qu’il sera évalué après trois ans « dans quelle mesure cette peine pourrait se substituer à d’autres peines et notamment au sursis avec mise à l’épreuve ».
Dernier non-sens, celui d’instaurer une peine plus sévère que le SME pour des délits moins graves. La contrainte pénale ne pourra concerner que des délits encourant 5 ans maximum, quand le SME peut assortir toute peine de prison maximale de 5 ans (ce qui est plus élevé que la peine encourue) et de dix ans en récidive. Et le SPIP sera obligé de mettre en œuvre un suivi renforcé pour les contraintes pénales, alors que le SME lui permet d’adapter le niveau de suivi à chaque situation et à l’évolution de la personne.
Au final, il ne reste plus qu’une seule particularité au bénéfice de la contrainte pénale: les obligations seront prononcées non plus par la juridiction de jugement à la va-vite, mais par le juge de l’application des peines sur la base de l’évaluation et des propositions du SPIP, ce qui représente un gage de meilleure adaptation du suivi aux problématiques de la personne.
L’idée d’une peine de probation visait à changer de paradigme : passer d’une peine conçue pour châtier et faire souffrir à une peine visant la réhabilitation et la prévention de la récidive.
La fin des libérations conditionnelles automatiques
L’affirmation erronée vient cette fois du Gouvernement. Le Premier ministre annonce qu’il « n’y aura plus de libération conditionnelle automatique », alors qu’un tel dispositif n’a jamais existé en France. Le ministre de l’Intérieur embraye en affirmant que la réforme « met fin aux dispositions très laxistes de la loi Dati, qui prévoyait que l’aménagement de toute peine inférieure ou égale à deux ans soit automatique. Auparavant, pour les peines de moins de deux ans, il n’y avait automatiquement plus de prison » (AFP, 30 août). Manuel Valls ignore à son tour les quelque 21 961 personnes purgeant une peine de moins d’un an dans les prisons françaises. La loi Dati de 2009 ne prévoit aucune libération conditionnelle automatique, mais un examen avant exécution des peines d’emprisonnement de moins de deux ans (un an en récidive), en vue de leur éventuel aménagement (conversion en surveillance électronique, semi-liberté, etc.). Avec la gauche, ces seuils sont abaissés à un an « pour les primo-délinquants » et à « 6 mois pour les récidivistes ». Selon les premières évaluations du ministère, cette seule disposition pourrait envoyer entre 5 000 et 12 000 personnes supplémentaires en détention. Au lieu de la « purge des prisons » annoncée par certains, c’est plutôt l’incarcération massive de petits délinquants dans des conditions de surpopulation attentatoires à la dignité humaine qui s’annonce.
Le non-sens de la contrainte pénale est de créer une peine plus sévère que le sursis avec mise à l’épreuve pour des délits moins graves
La réforme est censée désengorger les prisons
Certains affirment néanmoins que la réforme pénale va désengorger les prisons. Rien n’est moins sûr. Eric Ciotti annonce déjà « 10 000 à 20 000 détenus […] demain en liberté » (Le Parisien, 30.08.13). Au titre des dispositions favorisant « moins de détention », la suppression des peines plancher. Il est établi qu’elles n’ont pas « entraîné un recours plus important aux peines d’emprisonnement mais une sévérité accrue des peines prononcées : le quantum d’emprisonnement ferme est passé en moyenne de 8,2 mois à 11 mois, soit une augmentation d’environ 4 % des années d’emprisonnement prononcées » (Infostat Justice, octobre 2012). Les « éventuels effets dissuasifs de ce texte sur le taux de récidive n’ont pas fait l’objet d’une évaluation », ce qui rend impossible d’affirmer avec Mme Dati que « les peines plancher sont utiles et dissuasives » (AFP, 30 août). Le gouvernement américain vient pour sa part d’annoncer sa marche arrière sur les peines minimales, en ce qu’elles « contribuent à alimenter le manque de respect pour le système judiciaire quand elles sont appliquées de façon in-discriminée » et ne « contribuent pas à la sécurité publique ». Des Américains qui en appellent à « rester stricts » mais « plus intelligents » face à la criminalité.
D’autres dispositions pourraient amener à réduire les temps de détention, telle la suppression des révocations automatiques de sursis, qui seront désormais laissées à l’appréciation des magistrats, ce qui apparaît cohérent avec l’objectif d’individualisation, mais aussi de prévention de la récidive. La sortie de délinquance commence souvent par une diminution des délits en fréquence et en gravité. Si la Justice tape plus fort à ce moment-là, elle sabote un parcours de réinsertion. Enfin, l’avant-projet comporte un examen systématique de la situation des détenus aux deux tiers de leur peine afin d’envisager les possibilités de « libération sous contrainte » : semi-liberté, surveillance électronique, placement extérieur ou libération conditionnelle. Cette disposition pourrait permettre de réduire le taux de 80 % de personnes libérées de prison sans aménagement de peine (J. M Ayrault, 30 août). Des « sorties sèches » dont il a été reconnu, par la droite comme par la gauche, qu’elles favorisaient la récidive. Comme le rappelle Norman Bishop, « les instances décisionnaires qui refusent d’octroyer des libérations conditionnelles et insistent sur l’exécution pleine et entière de la peine de prison portent une lourde responsabilité dans la récidive en laissant retourner dans la communauté des personnes sans mesures de contrôle et sans assistance ».
Sarah Dindo