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Villefranche-sur-Saône : l’omerta

S’il est une maison d’arrêt que les prévenus et condamnés de la région lyonnaise redoutent, c’est bien celle de Villefranche-sur-Saône. Dans cette prison réputée violente, des mauvais traitements sont régulièrement dénoncés par les détenus. En cause, une minorité de surveillants et un cadre ultra-rigide. Malgré plusieurs dépôts de plaintes et des alertes répétées – y compris de la part des organes de contrôle – les pouvoirs publics n’interviennent pas…

« Un surveillant est entré dans ma cellule et m’a emmené à la douche pour me fouiller. J’ai été mis à nu, puis il m’a forcé à faire une flexion que j’ai refusée. Après être allé fouiller ma cellule où il n’a rien trouvé, il est revenu dans les douches et m’a dit qu’il allait pourrir ma détention. Il m’a poussé de la main à plusieurs reprises et a continué de me menacer tout en m’appuyant du doigt sur la poitrine. Cela s’est déroulé devant témoins : chef de bâtiment, surveillant d’étage […]. Il a tout fait pour me mettre à bout, que je craque et le frappe. »

Ce témoignage, adressé à l’Observatoire international des prisons (OIP) fin avril 2017 par un détenu à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône (Rhône), est symptomatique du climat qui règne au sein de cet établissement  pénitentiaire, connu pour la dureté de son régime. Mais aussi pour les allégations de violences commises par des personnels pénitentiaires.

Un cadre rigide jusqu’à l’absurde

Une atmosphère délétère qui tient, en premier lieu, à l’image excessivement sécuritaire que se font certains surveillants du fonctionnement d’un établissement. Elle les conduit à une application plus que rigoureuse du règlement intérieur, qualifiée de « bête et méchante » par une ancienne employée de la prison. « Lors des ouvertures de portes, les personnes détenues qui ne seraient pas prêtes pour les douches, le départ en promenade, la distribution des repas ou des médicaments s’en verraient priver par une partie du personnel de façon systématique. Autrement dit, la personne détenue doit toujours être prête à obéir à la minute près, pour des horaires qui, évidemment, ne peuvent être strictement respectés par les personnels », déplore le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) dans le rapport d’une visite de l’établissement effectuée en 2012. Un constat toujours d’actualité, d’après les témoignages recueillis par l’OIP. Pour faire face à ce problème, la seule solution trouvée par la direction est un système (mis en place début 2017) de bons de refus que les détenus doivent signer s’ils ne souhaitent pas quitter leur cellule. « Cette stratégie a pour objectif de limiter au maximum la mauvaise volonté de certains surveillants », explique un membre du personnel soignant.

Le Contrôleur général apporte également l’exemple de « la stricte durée des douches […] pouvant amener les personnes détenues à regagner leurs cellules encore couvertes de savon ». Une situation qui perdure, cinq ans après sa visite, selon un témoignage reçu récemment par l’OIP. Dans son rapport, le CGLPL souligne par ailleurs des relations entre détenus et surveillants « empreintes d’une forte tension ». Une tension qui ne saurait s’expliquer par le seul mode de fonctionnement draconien de l’établissement. Au cours des entretiens avec les contrôleurs, les personnes détenues n’ont « eu de cesse de faire état de manifestations répétées de marques d’irrespect à leur égard ».

« Les détenus nous parlent souvent de cantines écrasées, de courriers déchirés, de portes de cellule fermées alors qu’ils étaient en train de parler », témoigne une ancienne employée. Mais cela peut aller plus loin. Dans leurs courriers à l’OIP, les détenus se plaignent régulièrement de fouilles à nu abusives, suivies par une fouille de cellule. Cellule qui peut être complètement retournée par le personnel de surveillance. Le détenu cité en introduction raconte ainsi avoir retrouvé « ses affaires souillées, des correspondances avec son avocat et le défenseur des droits sorties de leurs enveloppes ». En mai 2017, la tante d’un autre détenu rapporte que, à l’occasion d’une fouille, « les surveillants ont pris toutes les affaires que [son neveu] avait cantiné – un lecteur DVD, son ventilateur, sa plaque chauffante… Ils auraient même déchiré les photos de sa fille qui étaient accrochées au mur », s’indigne-t-elle. Les personnes détenues et leurs proches témoignent de leur sentiment d’indignation face à ces méthodes, qu’ils perçoivent comme une stratégie pour les faire craquer et les pousser à la faute.

Les détenus se plaignent régulièrement de fouilles à nu abusives, suivies par une fouille de cellule.

Plus grave encore, il arrive que des détenus et leurs familles dénoncent des violences physiques. Le CGLPL évoque ainsi, en 2012, une « banalisation des moyens de contrainte », prenant l’exemple « de l’usage de la force (…) à l’occasion des placements en prévention au quartier disciplinaire ». Cette pratique, confirmée par un membre du personnel soignant de la prison, est régulièrement évoquée dans les courriers et témoignages des personnes détenues à l’OIP. « Sur le chemin, pour m’emmener au QD [quartier disciplinaire], on m’a mis les menottes en me tordant les bras dans le dos et on me tordait les doigts », expliquait un ancien détenu en 2014. Un autre, qui s’était retrouvé dans la même situation, raconte qu’il se serait vu dire par le surveillant qui l’emmenait au QD : « Si tu bouges, je te les pète. » Des allégations de violences physiques qui reviennent aux oreilles de l’OIP et, semble-t-il, à celles du Contrôleur général, depuis des années. En 2012, le CGLPL rapportait que les personnes détenues faisaient état de « coups portés sur la tête lors des transferts vers le quartier disciplinaire, intrusions dans les cellules la nuit avec violences consécutives, coups portés dans les coursives en représailles à un comportement jugé déplacé ».

En 2014, des bénévoles de l’OIP qui tenaient une permanence devant les parloirs de la maison d’arrêt ont rencontré, le jour de sa sortie, un homme au visage tuméfié et portant une attelle à la jambe. Selon lui, il aurait été accusé, à tort, d’avoir agressé un surveillant. Il aurait été ensuite passé à tabac alors qu’il sortait de sa cellule. « C’est une pluie de coups qui est  tombée, on m’a tordu les bras, la cheville… », racontait-il. Le lendemain de l’incident, une série d’examens à l’hôpital de Villefranche-sur-Saône a révélé des entorses au doigt et à la cheville. Habitué à faire des allers-retours en prison, il disait craindre d’être à nouveau incarcéré à Villefranche et d’être victime de représailles s’il déposait plainte.

D’autres ont franchi le pas. Au moment de la visite du CGLPL de 2012, « deux enquêtes pénales [étaient] en cours, susceptibles de mettre en cause des agents pour des faits de violence à l’encontre de personnes détenues » (1). En janvier 2016, trois surveillants de l’établissement ont été mis en examen et placés sous contrôle judiciaire pour violences aggravées à l’encontre d’un détenu. Enfin, une enquête préliminaire a été ouverte en avril 2017 par le parquet de Villefranche à l’encontre du chef d’établissement de la maison d’arrêt, accusé d’avoir donné des coups de genou à un détenu menotté et maîtrisé, en présence de gradés et de la directrice adjointe.

Côté surveillants, une majorité silencieuse

Ces violences, brimades et provocations ne concernent heureusement pas la majorité du personnel de surveillance de la maison d’arrêt. Pour beaucoup, ces agissements sont inacceptables. En 2006, un courrier anonyme d’un surveillant de la MA venait dénoncer le comportement de « certains de [ses] collègues bourrés de haine et de violence » qui « confondent autorité et autoritarisme ». Ce dernier souhaitait alerter l’OIP pour « que cela cesse, pour la dignité de l’être humain ». Selon d’anciens employés, il faut tenir compte de l’environnement pesant de cette prison, qui amènerait certaines personnes à déraper. L’une d’entre eux parle d’« un établissement qui souffre », explique que « le personnel ramasse beaucoup […] notamment du fait de la mauvaise gestion des dernières directions ». « J’ai vu des collègues qui ont perdu pied, qui boivent beaucoup et j’imagine que ça n’aide pas à avoir un comportement correct en détention », regrette-t-elle.

Le climat malsain que connaît cet établissement pénitentiaire paraît s’inscrire dans l’histoire de la maison d’arrêt. « Cela fait en quelque sorte partie de l’ADN de la prison », commente un ancien employé. Plusieurs facteurs seraient à l’origine de cette réputation.

« Propos déplacés et racistes »

La majorité des détenus et de leurs familles semble vivre l’affectation dans cette prison comme une punition : « Au tribunal, quand on entend qu’on va être incarcéré à Villefranche, c’est comme si on prenait une double peine », témoigne un ancien détenu rencontré en mai 2017. D’après les fonctionnaires ayant connu l’établissement à ses débuts, l’identité disciplinaire de cette prison aurait commencé à se forger dès son ouverture, en novembre 1990. Une ancienne cadre de la prison explique ainsi que, dès la fin des années 1990, les détenus qui commettaient des incidents à Lyon étaient le plus souvent transférés vers Villefranche. Un phénomène alimentant le sentiment « encore persistant de la part du personnel et des personnes détenues que la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône sert de « déversoir des prisons de Lyon » », relevait le CGLPL en 2012. Pour cette fonctionnaire, « la prison s’est structurée en fonction des détenus qu’on y affectait, c’est-à-dire les plus virulents. [Les surveillants] se sont organisés face à cette population pénale de façon raciste et violente », regrette-t-elle. Une population par ailleurs largement composée de jeunes habitants de l’agglomération lyonnaise, issus de l’immigration. « Il n’était pas rare d’être témoin de propos déplacés et racistes, même pendant certaines de nos réunions », rapporte une autre fonctionnaire. Une attitude décomplexée qui s’illustrait chez certains surveillants par l’apposition d’un insigne du Front national, selon de nombreux témoignages. Et qui s’expliquerait en partie par le succès qu’aurait remporté, dans cette maison d’arrêt, l’éphémère syndicat FN-Pénitentiaire créé en 1996. Un psychiatre expliquait en 1999 avoir lui-même été victime du « racisme ambiant » qui régnait au sein de la prison (2). Un racisme qui semble avoir perduré, si l’on en croit les proches de détenus rencontrés aux abords des parloirs.

Régimes discriminatoires, architecture déshumanisante

Le CGLPL évoque dans ses deux rapports une autre source de tensions : un mode de fonctionnement différencié en fonction des trois bâtiments de détention et des étages auxquels sont affectés les détenus. Le bâtiment J accueille par exemple « les personnes les plus investies dans leur parcours d’exécution des peines », explique un ancien employé de la prison. Au sein de ce même bâtiment, plus on monte dans les étages, plus la personne bénéficiera de « privilèges ». Les détenus avaient notamment confié à l’équipe du CGLPL, lors de sa visite en 2012, « qu’il serait plus facile de se rendre aux activités lorsqu’on est hébergé au bâtiment J ou lorsqu’on est au troisième étage d’un bâtiment », alors qu’aux rez-de-chaussée des bâtiments A et B, l’accès aux activités était quasi-inexistant.

Ce « parcours individualisé », tel qu’il est présenté par l’administration pénitentiaire, se traduit pour le Contrôleur « par une pure et simple ségrégation entre les différents bâtiments ou étages de l’établissement » qui engendrerait « un sentiment de frustration chez ceux qui sont laissés pour compte de manière souvent irréversible durant leur temps de détention ». Selon lui, ce fonctionnement contribue « largement à une dégradation du climat entre les personnels de surveillance et les personnes détenues ».

Pour une ancienne cadre pénitentiaire, en poste peu après l’ouverture de la prison, la conception architecturale du bâtiment est également à mettre en cause. « C’est l’une des prisons sorties du plan 13 000, caractérisées par une architecture moderne, froide et automatisée qui se traduit par une déshumanisation des rapports », critiquée « autant par le personnel que par les détenus ». Une étude consacrée à certains établissements du programme « 13 000 » abonde en ce sens. « Conçus dans un grand souci de sécurité », ces établissements créeraient « une distance maximale » entre surveillants et détenus et entraînerait un « repli identitaire défensif » des personnels. Ce fonctionnement génèrerait « un climat de violence latente » dans ces établissements, précise l’étude (3).

Une situation connue de tous

Régulièrement pointées par la presse (4), la gestion hyper sécurisée de l’établissement, les tensions, brimades et violences seraient en fait un secret de polichinelle, connu de la direction interrégionale pénitentiaire de Lyon, de l’inspection des services pénitentiaires, du Défenseur des droits, du Parquet général de Lyon… « La réputation de Villefranche-sur- Saône est de notoriété publique, les détenus qui ont fréquenté plusieurs établissements disent qu’ils n’ont vu ça nulle part ailleurs », confesse d’ailleurs une source institutionnelle. Comment expliquer alors que la situation perdure ? D’abord par la crainte de représailles, de la part des détenus, qui doutent par ailleurs que leurs courriers de plainte puissent sortir de l’établissement par la voie officielle. En témoigne le récent procès du représentant local du syndicat majoritaire, poursuivi pour avoir dissimulé un courrier contenant une plainte destinée au procureur de la République. Condamné en première instance, ce surveillant a été relaxé en appel, mais l’enquête judiciaire a révélé que le courrier du détenu n’était jamais parvenu au parquet de Villefranche. En 2012, le CGLPL constatait : « Les courriers de plainte des détenus peuvent être ouverts, l’acheminement n’est pas garanti et ils peuvent demeurer sans réponse. » Dans le doute, certains courriers, « en particulier ceux adressés au procureur de la République, au CGLPL et à l’OIP, ne seraient pas remis aux surveillants d’étage de peur qu’ils n’arrivent pas à leurs destinataires, mais sortiraient par les parloirs », poursuit le rapport. Dans l’affaire qui a conduit à la mise en examen des trois surveillants début 2016, c’est sa conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation qui a aidé le détenu à rédiger et faire sortir sa plainte, avec l’aval d’un membre de la hiérarchie.

Beaucoup de fonctionnaires de l’administration pénitentiaire préfèrent par ailleurs fermer les yeux, par peur de faire face à la vindicte de leurs collègues. À Villefranche, c’est l’organisation syndicale majoritaire qui serait à l’origine des principales sources de crispation. « La place de cette dernière dans la gestion de l’établissement est apparue excessive aux contrôleurs : elle émet des consignes, indique être responsable du départ du précédent directeur ; ses représentants se rendent en détention dès la survenue d’un incident impliquant des personnels de surveillance et communiquent avec le procureur de la République dans des termes vifs », s’inquiète le Contrôleur. Une ancienne employée de la prison raconte, à propos de brimades infligées à l’un des détenus dont elle assurait le suivi : « Je me suis entretenue avec la direction à ce sujet. Mais cette dernière, si elle condamnait la situation, m’a fait savoir qu’elle n’oserait rien faire par crainte de la réaction des syndicats. »

Devant la passivité des personnes en responsabilité, c’est finalement toute l’institution qui semble devoir être mise en cause dans cet état de fait. En dépit de deux rapports accablants du Contrôleur général et des nombreuses plaintes de personnes détenues auprès du Défenseur des droits, les pouvoirs publics ne semblent pas prendre au sérieux cette situation : aucune mesure d’envergure n’a été engagée pour y mettre fin. Espérons que les dernières actions engagées en justice par des détenus les fassent enfin réagir.

Par Amid Khallouf 


(1) Le parquet de Villefranche-sur-Saône ayant refusé de faire suite aux demandes de l’OIP, l’issue de ces deux enquêtes reste à ce jour inconnue.
(2) Voir article dans Dedans-Dehors n° 16.
(3) P. Pottier, « Approche de la violence en établissement 13 000 », in Violences en prison, département de la Recherche, Enap, octobre 2005.
(4) « L’avocat sans robe », Le Monde, 5 septembre 1991 ; « Prison modèle ou contreexemple ? », Le Progrès, 9 juin 1998 ; « Villefranche-sur-Saône une prison ultramoderne mais vulnérable », Lyon Mag, novembre 2002 ; « Lettre ouverte à Arnaud Moumaneix, directeur de la MA de Villefranche-sur-Saône », Slate.fr, 30 octobre 2012 ; « Prison de Villefranche : comment les détenus basques ont mené la fronde », Rue89Lyon, 12 mars 2013.