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De prison en prison, un détenu privé des soins dont il a besoin

Détenu au centre pénitentiaire de Lannemezan, Monsieur R. est atteint d’une maladie grave entraînant des poussées de fièvre et des douleurs qui nécessitent un suivi médical particulier et renforcé. Depuis des années, les logiques sécuritaires prennent pourtant le pas sur sa prise en charge sanitaire.

Dans la nuit du vendredi 14 au samedi 15 octobre dernier, Monsieur R., incarcéré à la maison centrale de Lannemezan, tente d’appeler à l’aide, en vain. « Au milieu de la nuit, la fièvre est montée. À plusieurs reprises j’ai appelé les surveillants à l’interphone, tout le monde m’a ignoré », témoigne-t-il. Monsieur R. souffre d’une pathologie chronique grave, appelée ‟ fièvre méditerranéenne familiale ″. Cette maladie héréditaire entraîne de fortes poussées de fièvre associées à des douleurs abdominales, articulaires et musculaires dont les conséquences peuvent être graves. Une note signée du médecin responsable de l’unité sanitaire de Lannemezan indique ainsi que « l’état de santé de Monsieur R. nécessite une hospitalisation en cas de poussée hyperthermique confirmée, quelle que soit l’heure. Extraction en urgence. » En l’occurrence, l’extraction était d’autant plus nécessaire que l’unité sanitaire de l’établissement est fermée le week-end. Pourtant, « le samedi, un agent est venu me dire que le chef ne voulait pas me faire sortir, qu’il n’appellerait ni le Samu, ni les pompiers. Le chef ne s’est même pas déplacé pour voir mon état », précise Monsieur R. Si bien qu’il n’a été vu par le médecin de l’unité sanitaire que le lundi matin, après avoir passé deux jours sans surveillance médicale ni traitement.

Cet épisode vient s’ajouter aux difficultés auxquelles Monsieur R. se heurte régulièrement dans le suivi de sa pathologie à la prison de Lannemezan. « Nous ne pouvons pas assurer une prise en charge optimale adaptée à l’état de santé de Monsieur R. », atteste l’équipe soignante de l’Unité sanitaire de l’établissement, qui précise que « la fréquence et la durée [de son] traitement ne sont pas compatibles avec l’organisation de l’unité sanitaire de la centrale pénitentiaire de Lannemezan, dont la mission est la prise en charge médicale ambulatoire des personnes détenues »[1]. Si bien que Monsieur R. indique avoir dû être extrait trente fois vers l’hôpital de Lannemezan en 28 mois. En outre, il n’y bénéficie pas du bilan médical et des soins de suite normalement requis après chaque crise. « À l’hôpital de Lannemezan, lorsque ma perfusion est terminée, je suis reconduit à la prison, dans ma cellule », témoigne Monsieur R.  

Une affectation francilienne sans cesse refusée

Cette situation est d’autant plus étonnante que Monsieur R. a été affecté au centre pénitentiaire de Lannemezan pour « bénéficier d’une prise en charge médicale adaptée à sa situation », selon les motifs exposés par l’administration pénitentiaire sur la décision de transfert[2]. Car le problème dure en fait depuis avril 2019, date à laquelle l’effondrement d’un mur d’enceinte de la maison centrale de Poissy, où il était alors incarcéré – et où il bénéficiait d’un protocole de soins complet – a entraîné le transfert de Monsieur R. vers un établissement davantage sécurisé. Entre avril 2019 et avril 2020, il a été affecté à la maison centrale de Vendin-le-Vieil, mais le suivi médical exigé par son état de santé n’y a pas été possible[3]. Depuis, chacune de ses demandes de transfert dans un établissement de la région parisienne – les seuls qui permettent son suivi médical dans des centres hospitaliers appropriés – se heurte à un refus de la Direction de l’administration pénitentiaire, qui considère que les conditions de sécurité n’y sont pas réunies au regard de son profil pénal. Et ce en dépit de l’avis de la direction de Vendin-le-Vieil qui estimait en 2020 que « son profil [était] adapté à un centre de détention pour longues peines ou une maison centrale moins sécuritaire ». Et surtout en dépit de plusieurs avis médicaux : dès 2018, un certificat médical avait souligné la nécessité « d’orienter pour un suivi régulier Monsieur R. auprès du service de médecine interne du CHU Paris Est, Hôpital Tenon, centre de référence de la fièvre méditerranéenne familiale ». Une nécessité rappelée par l’unité sanitaire de Vendin-le-Vieil en 2020, puis encore récemment par celle de Lannemezan, qui a estimé que le suivi médical proposé par l’hôpital Tenon était « indispensable au vu de la complexité de [sa] pathologie »[4]. « Cela fait des années qu’on me balade, des années qu’on ne fait que repousser le problème », s’impatiente Monsieur R. Il est actuellement au centre national d’évaluation (CNE) d’Aix-Luynes jusqu’à la mi-décembre. Ce séjour, qui vise à réévaluer son niveau de dangerosité et sa situation, devrait être déterminant dans sa prochaine orientation.

Par Pauline Petitot

Lire le communiqué du 10 Février 2020 qui revient sur la situation de Monsieur R.


[1] Certificat médical de l’USMP de Lannemezan, daté du 7 juin 2022.
[2] Décision de changement d’affectation en date du 15 avril 2020.
[3] « Un détenu privé de soins adaptés depuis son transfert à la maison centrale de Vendin-le-Vieil », 10 février 2020
[4] Certificat établi par l’USMP de Lannemezan, 6 septembre 2022.