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Insertion de la pénitentiaire dans la «communauté du renseignement» ? Une dérive dangereuse

Des personnels pénitentiaires chargés d'écoutes ou d'espionner des conversations aux parloirs en vue de préserver « l'indépendance nationale », prévenir « la délinquance organisée » ou « garantir les intérêts majeurs de la politique étrangère » ? C'est ce que permet le texte sur le renseignement adopté le 1er avril par la commission des lois de l'Assemblée nationale. Un texte dangereux qu'il convient d'amender en séance. Car il est susceptible de bouleverser l'équilibre Justice / Intérieur/ Défense et de conférer à l'administration pénitentiaire des pouvoirs exorbitants de police administrative.

Rapporteur du texte, Jean-Jacques Urvoas, a évoqué une disposition « en rien contraignante », consistant seulement en « une invitation explicite au Gouvernement à faire évoluer sa réflexion sur le renseignement pénitentiaire ». Le pas franchi est bien plus grand. En plaçant le renseignement pénitentiaire dans le « second cercle du renseignement » (article 1 du projet de loi), la commission des lois le met en position de rejoindre la « communauté du renseignement ». Soit le « noyau dur » composé entre autres de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), de la direction du renseignement militaire (DRM) et de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Et lui permet d’accéder à toutes les techniques de renseignement : écoutes des personnes ciblées et de leurs proches, pose de micros ou de caméras cachées dans n’importe quel local, captation de données, notamment celles contenues dans un ordinateur, etc. Ce pour des finalités potentiellement très larges, comme la défense de « l’indépendance nationale » et « l’intégrité du territoire », « la prévention du terrorisme » ou encore « la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ». Avec pour seul encadrement préalable la consultation – hors urgence – d’une autorité administrative indépendante, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, dont le Premier ministre peut passer outre l’avis défavorable.

© Grégoire Korganow

Pour lever les craintes, Jean-Jacques Urvoas a mis en avant que l’application de ces dispositions supposait l’adoption préalable d’un décret en Conseil d’Etat, définissant les techniques employables et les finalités. Certes. Mais si la ministre de la Justice s’est montrée défavorable à une modification du statut du renseignement pénitentiaire, et par conséquent à ce décret, en tout état de cause, la porte est ouverte en cas de changement de ministre ou d’alternance politique. Or, la garde des Sceaux l’a souligné, une telle évolution reviendrait « à changer de paradigme » : bouleverser le rôle dévolu au renseignement pénitentiaire chargé aujourd’hui de « recueillir et d’analyser » les « informations utiles à la sécurité des établissements ». Et « faire évoluer le métier des surveillants » pour créer un corps décrété « de professionnels du renseignement » autorisés à mobiliser des techniques particulièrement intrusives.

Avec à la clé plusieurs risques. D’abord celui d’un brouillage des frontières des domaines de compétences entre Intérieur et Justice, voire Défense. Mais surtout celui de voir des personnels pénitentiaires user, vis-à-vis d’un public captif, pouvant être d’ores et déjà soumis à des mesures particulièrement attentatoires à la dignité et la vie privée (fouilles à nu, fouilles des cellules, des ordinateurs, contrôle des communications écrites et téléphoniques, régime d’isolement, etc.), de mesures supplémentaires de surveillance sur la base d’appréciations subjectives et peu fiables. Le rapport de l’inspection des services pénitentiaires de février 2015 sur l’expérimentation de regroupement de détenus présumés islamistes radicaux au sein de la maison d’arrêt de Fresnes le montre : les « outils officiels » censés permettre « un recueil structuré et formalisé de l’information» par les personnels de surveillance pour alimenter le bureau de renseignement ne sont même pas utilisés. Les surveillants préfèrent opter pour la « libre expression » de ce qu’ils considèrent comme « pouvant s’apparenter à une pratique radicale de l’islam ». Sans formation particulière. « L’essentiel de[s] informations » du responsable local du renseignement provient ainsi « de circuits off », non transparents et peu étayés.

Pour l’OIP, le contexte de menace terroriste ne doit pas être l’occasion d’élargir, qui plus est sans contrôle effectif, le champ de mesures fortement attentatoires aux libertés individuelles. La République doit au contraire réaffirmer les principes d’un Etat de droit, a fortiori à l’égard de personnes incarcérées pour non respect de la loi. A défaut, les pouvoirs publics ne font que renforcer le rejet et le discrédit des institutions, fournissant un terreau aux dérives individuelles radicales et violentes.