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Le garde des Sceaux à Clairvaux : le mensonge et le mépris.

Le discours prononcé par le garde des Sceaux à la maison centrale de Clairvaux est entaché de nombreuses contrevérités qui ne peuvent que choquer ceux qui savent de quoi retourne la vie quotidienne dans les prisons françaises et notamment dans cet établissement.

De telles déclarations s’avèrent en totale contradiction avec les constats et préconisations des instances nationales et internationales qui ont eu à se pencher sur le système carcéral français.

– La peine de mort : « un sujet sur lequel il ne faut pas plaisanter »
C’est pourtant le ministre lui-même qui, au lendemain de l’appel des détenus de Clairvaux, s’était cru autorisé à réagir en ces termes : « si on les prenait au mot, combien se présenteraient ? ». La provocation est d’autant plus inqualifiable qu’elle émane du ministre de la Justice au moment même où le président de la République propose de réformer la constitution pour y inscrire l’abolition de la peine de mort. Elle est d’autant plus ambiguë qu’elle est l’œuvre du responsable politique qui défendit la question préalable présentée par le RPR, le 17 septembre 1981, face au projet de loi visant à l’abolition de la peine capitale.

– Sur le régime carcéral des longues peines : « des conditions de détentions satisfaisantes », qui correspondent aux critères du Conseil de l’Europe.
En faisant ainsi référence aux Règles pénitentiaires européennes, Pascal Clément admet que ces dernières sont un outil pertinent pour apprécier et qualifier les conditions de détention françaises. Il se trouve que, lors de sa dernière venue en France, en juin 2003, le Comité européen de prévention de la torture (CPT) a effectué une visite au sein de la maison centrale de Clairvaux. Faisant écho aux « plaintes entendues sur le manque drastique de programmes structurés visant à la réadaptation et la réinsertion sociale » et à celles concernant « le durcissement progressif du régime de détention », le CPT demandait aux autorités françaises de « revoir les régimes de détention à Clairvaux en s’inspirant dûment de son rapport de visite de 2000 » ainsi que « des principes directeurs contenus dans la recommandation de 2003 du Conseil de l’Europe con cernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée ».

– Sur la politique pénitentiaire du gouvernement : « Il s’agit d’une politique équilibrée, conjuguant sécurité et réinsertion qui sont les deux missions indissociables de l’administration pénitentiaire ».
La Cour des comptes vient de remettre un rapport dénonçant les insuffisances de l’exercice de la mission de réinsertion. Là encore, la réponse du ministère de la Justice face à ce constat emprunte au déni : « Le ministère de la justice ne partage pas l’appréciation de la Cour des comptes lorsqu’elle évoque en première partie de son rapport que l’administration pénitentiaire aurait des difficultés à conjuguer les missions de garde et celles de réinsertion des détenus ».

– Sur les droits des détenus : « je suis scandalisé par certains commentaires récurrents laissant entendre que les prisons sont des lieux hors du droit »
Ce constat a pourtant a été dressé en 2000 par les deux commissions d’enquête parlementaires, puis par la commission présidée par le Premier président de la Cour de cassation Guy Canivet. Ces trois rapports ont fait valoir la nécessité d’une refonte complète du droit pénitentiaire. La Commission Canivet notait que « les auditions de théoriciens comme de praticiens, les lectures de la doctrine comme de la presse, ainsi que les constats extérieurs convergent vers l’idée que les prisons souffrent d’une carence juridique, dans le contenu des normes comme dans leur application », ajoutant que « Le droit de la prison est déficient dans la protection des droits des détenus ». Nécessité réaffirmée 11 mars 2004 par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, après avoir estimé que « trop nombreuses sont les dispositions édictées par l’administration qui méconnaissent les principes fondamentaux ».

– Sur le contrôle de l’institution : « notre administration pénitentiaire n’a rien à cacher, bien au contraire ».
En mars 2000, la commission Canivet avait constaté que « les visites opérées par les autorités judiciaires dans les établissements pénitentiaires telles que prévues par les textes en vigueur ne remplissent pas la fonction d’un contrôle extérieur ». Pour remédier à l’opacité pénitentiaire et situations d’arbitraire qui ne manquent pas de se produire dans un lieu fermé à l’abri du regard extérieur, le rapport Canivet avait présenté un dispositif complet visant à instaurer un contrôleur général des prisons. Malgré la pression des instances nationales européennes et internationales de protection des droits de l’homme, et en dépit des engagements de la France, un tel organe de contrôle n’a toujours pas vu le jour.

– Sur les aménagements de peine : « je suis un ardent partisan des libérations préparées et suivies, soutenues et contrôlées ».
En mars 2005 le rapport d’information du député UMP Jean-Luc Warsmann sur la mise en application de la loi du 9 mars 2004 s’est félicité de « la forte augmentation du nombre de mesures d’aménagement constaté en 2004 (+ 16 %) par rapport à 2003 parmi lesquelles on relèvera les mesures de semi-liberté et les libérations conditionnelles qui croissent de 9 % ». Mais comme l’explique le vice-président de l’Association nationales des juge de l’application des peines, Eric Martin, si l’on compare les chiffres de 1997 à ceux de 2003 et qu’on rapporte le nombre d’aménagements de peine prononcés au nombre de détenus, « la surprise est de taille puisque sur une population pénale qui dans cette période augmente de 30 % (…), on arrive à une baisse globale des aménagements de peines de 25 % ». Qui plus est, la récente loi sur la récidive a allongé la période de sûreté à l’encontre des condamnés à perpétuité de 15 à 18 ans et 22 ans lorsque ceux-ci sont en état de récidive légale.

Le ministre de la Justice n’ignore aucun de ces constats, ne méconnaît aucune de ces critiques. La désinformation à laquelle il se prête concernant les carences et dysfonctionnements du système pénitentiaire français n’est pas digne d’un ministre de la République. Cette attitude vise à éteindre le débat pourtant légitime suscité par la prise de parole désespérée de personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité. Le ministre reconnaît que tous les détenus ont vocation à sortir, mais il manie la peur en qualifiant ces mêmes personnes de pervers, de dangereux, de multirécidivistes, de terroristes. Feignant d’ignorer que les taux de récidive des personnes condamnées à de longues peines sont très faibles, il se fait le chantre d’un perpétuel allongement des peines de sûreté.