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Perpétuité : la mort pénale existe encore

La peine de mort n’existe plus dans le code pénal. Mais « la mort pénale » existe encore, rappelle le magistrat Denis Salas. Car la perpétuité c’est cela : la possibilité d’une « mort à petit feu » entre les murs et d’une vie qui appartient aux juges. Que la peine administrée soit incompressible ou non. La différence entre les deux se situe dans la marge d’espoir laissée au condamné.

Quand la perpétuité n’est pas incompressible, il peut entretenir l’espérance de sortir, un jour, sous contrôle, après avoir purgé sa période de sûreté – de vingt-deux ans maximum en principe, jusqu’à trente ans sur décision spéciale. A échéance, il pourra présenter une demande d’aménagement de peine, sans assurance qu’elle lui soit accordée. Lorsque la peine est incompressible, le condamné est privé jusqu’à la possibilité d’émettre une demande. Il ne peut qu’espérer, après trois décennies de prison au moins, qu’un juge prenne l’initiative de faire évaluer « son état de dangerosité » ; puis que trois magistrats estiment envisageable une libération probatoire encadrée. Encore faut-il que le ministère public ne s’y oppose pas. A défaut, l’examen de la situation devra être réinitialisé. Peut-être encore et encore… C’est cette maigre lueur d’espoir – qui n’existe pratiquement que pour ceux dont l’échéance de la période de sûreté ne dépasse pas l’espérance de vie – que certains élus entendent éteindre, demandant au Parlement de durcir le régime de la perpétuité incompressible de manière à « être encore plus certains » que les condamnés « ne pourront jamais être libérés »… On requiert la prison à vie, pour ne pas demander la peine de mort, sans s’interroger sur les effets même de la perpétuité.

Il est difficile de représenter la perpétuité, les effets du temps infini et l’impossible projection dans l’avenir. On ne peut pas user d’images fortes, descriptives. Comme le faisait Badinter à propos de la peine de mort, rappelant que « guillotiner, ce n’est rien d’autre que de prendre un homme et le couper, vivant, en deux morceaux ». Cette violence légale, absolue, dix condamnés à perpétuité l’ont néanmoins convoquée en 2006 pour tenter de rendre compte de leur « sort d’enterré vif ». Ils ont demandé pour eux « le rétablissement effectif de la peine de mort », annonçant « préférer encore en finir une bonne fois pour toute que de [se] voir crever à petit peu, sans espoir d’aucun lendemain ». Plusieurs d’entre eux accumulaient les années après l’expiration de leur période de sureté et avaient vu mourir plus d’un « perpét » entre les murs. Et cet appel, aussi crû et suggestif soit-il, n’évoque pas le dépouillement sensoriel qui s’exacerbe avec le temps. La vue qui décline faute de pouvoir se reposer sur l’horizon. La peau qui se carapace et ne ressent plus les plaisirs. La perte des repères spatio-temporels qui impose le repliement. L’attente insoutenable d’une perspective. Et les effondrements psychiques, fréquents. Passé dix ans, « il est difficile de se maintenir dans une dynamique personnelle, de ne pas se dégrader, notamment au niveau psychologique », rappelle un conseiller d’insertion et de probation en maison centrale.

Les perpétuités ne sont pas seulement des gens qui attendent. Ce sont aussi des gens qui sombrent dans le mutisme total. Tel cet homme de 86 ans, alité en cellule. Il pouvait bénéficier d’un aménagement de peine depuis seize ans. Mais on a estimé qu’une affectation en maison de retraite serait trop déstabilisante pour lui, bouleversant ses repères. Et pour ceux qui sortent quel avenir? On est des « morts-vivants » déclare l’un d’eux. « On a cassé la machine à vivre ».

Par Marie Crétenot. Tribune publiée le mercredi 13 avril 2016 dans L’Humanité.