Madame M. a été privée de visites pendant deux mois pour avoir enlacé son conjoint au parloir de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, où il est détenu. Pourtant, elle affirme y avoir été expressément autorisée par les surveillants lors d’une précédente visite. Un témoignage qui illustre le sentiment d’arbitraire auquel sont souvent confrontés les proches de détenus(1) face à des règles appliquées plus ou moins rigoureusement d’une prison à l’autre, d’un agent à l’autre. Une situation exacerbée en période de crise sanitaire, où les consignes évoluent sans cesse.
« Le mardi 6 juillet 2021, j’ai rendu visite à mon conjoint. Notre parloir devait commencer à 15h ; à 16h passées, je n’avais – comme les autres visiteurs – toujours pas été appelée. Lorsque nous avons demandé la raison de ce retard, on nous a répondu de bien vouloir retourner nous asseoir, que nous serions appelés en temps voulu. Nous avons précisé aux surveillants que nous avions tous des impératifs horaires et que nous avions pour certains un travail après notre visite, pour d’autres des enfants à récupérer chez la nounou ou à l’école, mais rien à faire. Ils ont été d’une incorrection sans nom, nous ont parlé sur un ton méprisant et avec arrogance, et lorsque nous avons tourné les talons, ils se sont mis à rigoler et à parler en créole. Je ne pourrais cependant vous citer de nom car personne ne porte de badge nominatif ou ne serait-ce qu’un matricule. En cas de litige, en réalité, il n’y a qu’eux qui peuvent se plaindre.
Après une heure trente d’attente, nous avons enfin pu entrer au parloir. J’ai embrassé mon conjoint et nous nous sommes enlacés, comme lors de ma dernière visite : en effet, le samedi précédent – justement pour ne pas avoir de problème en sortant – nous avions demandé au gardien ce qu’il était possible de faire. Il nous avait répondu : “C’est enlacement et embrassade en début et fin de parloir pour dire bonjour et au revoir.” La visite s’était déroulée sans encombre.
Mardi, après nous être embrassés et enlacés un moment, tout cela à la vue des gardiens, nous nous sommes assis quelques minutes, mon conjoint sur une chaise et moi sur ses genoux, lorsqu’un gardien nous a demandé de bien vouloir nous séparer, ce que nous avons fait immédiatement. Nous discutions face à face, mon conjoint contre un mur et moi contre l’autre, lorsqu’un gardien est passé, a regardé dans le box et a commencé à crier : “La distanciation ! Madame, mettez- vous avec Monsieur chacun d’un côté de la table prévue à cet effet.” Surpris, mon conjoint et moi lui avons fait remarquer poliment qu’il y avait plus d’un mètre cinquante entre nous et que nous portions le masque, donc pourquoi ? Il n’a rien su nous répondre d’autre que “c’est comme ça, ce sont les règles”, et que si nous n’étions pas contents, il pouvait aussi nous signifier la fin de la visite. Je tiens à préciser que la distance entre deux personnes assises à table est inférieure ou égale à soixante centimètres. Emplis d’incompréhension, nous discutions de la situation quand ce même gardien a ouvert la porte et nous a hurlé dessus – ce qui en a alerté d’autres. Nous nous sommes retrouvés avec trois gardiens, dont un chef, devant la porte. Le chef s’est mis à parler de distanciation sociale, de règlement, de charte, puis il m’a regardée et m’a dit : “Madame, les règles c’est ça, la distanciation, vous comprenez ?” Moi, j’ai préféré ne pas répondre à ce moment-là, parce qu’en réalité non, je ne comprenais pas bien leur fonctionnement. Il m’a regardée avec insistance et a réitéré sa question sur un ton arrogant et agressif. Là, je lui ai répondu que non, je ne comprenais pas leur fonctionnement, qu’il me paraissait dénué de sens, illogique d’autoriser les embrassades et enlacements en début et fin de parloir et de nous reprocher ensuite de violer les règles de distanciation sociale lorsque nous nous trouvions à plus d’un mètre cinquante de distance avec masque tous les deux, qui plus est pour nous demander de nous assoir à une table qui ne nous laissait qu’à peine soixante centimètres d’écart. Là-dessus, ne sachant sans doute pas quoi répondre, il m’a menacée de me priver de mon droit de visite.
La sanction ne s’est pas fait attendre : dès ma sortie, j’ai été convoquée par la cheffe, qui m’a demandé si je reconnaissais les faits d’enlacement. Je lui ai répondu que oui, j’avais effectivement bien embrassé et enlacé mon conjoint et ce, à la vue des gardiens et avec leur aval, et que je ne comprenais pas l’objet de ma convocation. Là, elle a pris un air assez surpris et m’a dit : “Mais madame, il est strictement interdit d’avoir un contact physique avec la personne visitée, que ce soit en début ou en fin de parloir, pour dire bonjour ou au revoir.” Je suis tombée des nues. Je lui ai raconté ce qui nous avait été expliqué samedi, à nous et à d’autres familles. Que j’avais été induite en erreur par des agents mal renseignés sur la réglementation sanitaire au sein de l’établissement pénitentiaire pour lequel ils travaillent, que d’autres personnes risquaient d’être sanctionnées car mal informées. Lorsque j’ai lu le document de reconnaissance des faits qu’elle voulait me faire signer, je me suis rendu compte que n’y apparaissaient que mes nom, prénom, adresse et numéro de permis de visite. Je lui ai signalé que je n’avais pas pour habitude de signer des documents vierges et lui ai demandé de bien vouloir mettre les faits par écrit, ce qu’elle a fait. J’ai signé, mais quand j’ai demandé une copie du document, elle m’a été refusée.
« Résultat : après avoir attendu une heure trente pour entrer au parloir, vécu quarante-cinq minutes de visite horriblement frustrantes, je suis repartie avec une sanction injuste. »
Résultat : après avoir attendu une heure trente pour entrer au parloir, vécu quarante-cinq minutes de visite horriblement frustrantes, je suis repartie à 18h de l’établissement avec une sanction disciplinaire injuste – mon droit de visite ayant été suspendu pour quatre mois. Quant à mon conjoint, il a été placé en quatorzaine.
J’ai évidemment fait appel de cette décision. Lorsque j’ai été reçue par le directeur et que j’ai ré-expliqué pour la énième fois la situation, il est tombé des nues : pour lui aussi, c’était dénué de sens. Il a fini par me dire que le problème était qu’au niveau des parloirs, il y avait des surveillants qui étaient tolérants et d’autres pas du tout. Mais les règles ne peuvent pas être appliquées au cas par cas ! Pourquoi ne pas plutôt afficher clairement les consignes, mettre des pancartes pour que tout le monde – surveillants comme visiteurs – soit correctement informé ? Finalement, il a réduit ma suspension à deux mois. Lors de l’entretien, j’en ai profité pour lui faire part des comportements irrespectueux des agents à l’égard des proches au parloir : c’était à tel point que j’y allais à chaque fois la boule au ventre, craignant ce qui allait se passer selon l’humeur des uns et des autres. Depuis, j’ai l’impression que ça s’est amélioré, que les familles sont mieux traitées. Moi, en tous cas, je n’ai plus de souci. »
(1) « À chaque parloir son règlement », Dedans Dehors n°102, décembre 2018.