João*, 30 ans, a grandi dans une famille nombreuse à Aubervilliers. Après avoir décroché de l’école, à 11 ans, il enchaîne les petits vols et les bagarres. Et écope d’une première peine de prison, à 14 ans. A sa majorité, un vol en réunion avec arme le conduit de nouveau derrière les barreaux. Il retrace son parcours et dépeint en creux, avec fatalisme, la reproduction d’un certain ordre social.
« Mes parents sont cap verdiens. Ils sont d’abord allés en Hollande, puis en France. On était quatorze enfants, alors une paire d’Air max pour chacun, c’est pas possible. On habitait dans un F6. On a bien vécu, franchement ! Dans ma chambre, on était cinq garçons. Les filles avaient deux chambres pour elles. Moi j’étais souvent dehors. Nous, les garçons – pas tous, trois sur les cinq –, on faisait des bêtises, rien de très grave. En CM2, je me battais souvent. Arrivé en sixième, j’ai fait une semaine de classe, puis j’ai été renvoyé ; une bagarre encore. Du coup, j’allais aider mon père sur les chantiers. Mais la plupart du temps, je traînais dans la rue avec les potes. On se battait, on commettait des petits vols ; on cherchait de l’argent, comme tout le monde. Aujourd’hui, les petits vendent de la drogue. C’est plus rapide que de trouver un travail. C’est tout un engrenage en fait. Les aléas de la vie. »
« Un quartier dans un quartier »
« La première fois que je suis allé en prison, c’était pour des bagarres de quartier. J’avais quatorze ans. Ça faisait quatre ans que je n’étais pas allé à l’école. Au bout d’un moment, la juge a dit : “Trop, c’est trop !” Elle m’a placé chez les mineurs. Franchement, c’était dur. Toute la journée était millimétrée. On n’avait même pas de promenade ! Quand je suis sorti de prison, j’ai repris l’école. J’ai eu mon CAP, mon BEP et mon bac pro maçonnerie. Puis j’ai refait une bêtise pendant les vacances : un vol en réunion avec arme. On n’a blessé personne, mais j’ai quand même pris six ans pour cette affaire. Conséquence : tous mes sursis sont tombés – défaut de permis, outrage et rébellion, vol… Ça montait, montait ! A l’audience, je ne comprenais plus rien… J’avais 18 ans quand je suis retourné en prison. » « La prison, on n’en parlait pas trop au quartier. J’avais entendu des grands dire qu’ils y étaient allés, mais c’est tout. Quand je suis arrivé, j’ai vite compris ce que c’était. Passé le temps d’adaptation – deux semaines, un mois –, t’es réglé comme une pendule. Je ne vais pas dire que c’était facile, mais c’était quand même moins dur que chez les mineurs. C’est moins cadré.
Tu retrouves même les gars d’autres quartiers avec lesquels tu t’embrouillais. Mais en prison, on est tous dans le même bateau, donc on s’entraide, on est solidaires.
En fait la prison, c’est un quartier dans un quartier. Que tu viennes de La Courneuve, Bondy, Drancy – de n’importe où –, à force de faire les mêmes activités, d’aller dans les mêmes cours de promenade, de partager les mêmes cellules, des liens se créent. De cité à cité, on se connaît tous avec le temps. D’ailleurs, j’ai retrouvé les mêmes têtes que quand j’étais mineur. Il y en avait aussi que je connaissais d’avant la prison. Des gens d’Aubervilliers, mais pas seulement : j’ai retrouvé des cousins, mon tonton et même mon beau-frère. Certains se retrouvent dans la même cellule que leur père ou que leur frère ! Mais même si tu ne connais personne au départ, la prison, c’est un peu comme en colonie de vacances (j’y suis allé avec le Secours populaire) : au début, quand tu montes dans le car, tu connais seulement quelques têtes. Mais au retour des vacances, tu t’es fait plein de copains et de copines. C’est un peu pareil. On te met dans le car à Fleury, à Villepinte, et au final tu te fais plus d’amis que dehors ! Tu retrouves même les gars d’autres quartiers avec lesquels tu t’embrouillais. Mais en prison, on est tous dans le même bateau, donc on s’entraide, on est solidaires.
En huit ans, j’en ai vu entrer et sortir plus d’un ; certains font des allers-retours sans arrêt. Villepinte, Meaux, Osny, Fleury, Nancy… : j’ai tellement tourné, que quand je me balade dehors aujourd’hui, je croise forcément quelqu’un que j’ai connu en prison. Au départ, je ne connaissais personne dans le 77, maintenant j’y ai plein de potes. Je vais dans leur cité, on fait des barbecues. Ils viennent chez nous aussi. »
Les plus jeunes, ils aiment bien la bagarre. Mais en prison, ils comprennent vite qu’ils ne peuvent pas la faire avec tout le monde : ils risquent de tomber sur plus fort qu’eux, il faut avoir un minimum de respect. Souvent, ils retrouvent des grands de chez eux qui leur donnent des conseils, et finalement ça se passe bien. C’est surtout ceux qui ont violé ou qui ont fait un truc grave qui se font taper par tous les détenus. Mais sinon, tout le monde est pareil en prison. On est tous un numéro d’écrou. Je dis ça, mais c’est pas totalement vrai : y’a aussi quelques gars qui n’ont jamais manqué de rien. Ils veulent être comme les autres, ils jouent au pote de quartier, ils font les chauds. Mais on ne sera jamais pareils. L’enfant de bourgeois n’a rien à faire ici. Il a tout ce qu’il faut dehors, il n’a pas à faire de bêtises. C’est pas pour autant qu’on va le rendre fou. Chacun est le bienvenu, chacun fait sa peine. »
L’autre jour, dans les Landes, j’ai croisé un type que j’ai connu en prison, un “vieux”. Il m’a dit qu’il était vachement mieux là-bas. Il ne se fait jamais contrôler, alors qu’à Paris c’était tous les cent mètres.
« Des têtes de suspects »
« A l’âge que j’ai aujourd’hui [30 ans], on ne me contrôle plus autant qu’avant. Quand j’étais plus jeune, les flics me contrôlaient pour rien. Je me sentais oppressé. Souvent, ils essayaient de me pousser à bout. Je m’en fiche qu’ils me contrôlent, je n’ai pas forcément de choses à me reprocher. C’est la manière dont ils parlent qui m’énerve : “petit con”, “petit PD”. Certains s’emportent vite. A Aubervilliers, maintenant ça va. La police passe et repasse, mais ils nous connaissent. Ils ne nous contrôlent plus. Mais dès qu’on est avec des gens qu’ils n’ont jamais vus, comme mes potes du 77, ils contrôlent : “T’habites où ?”, c’est tout ce qu’ils veulent savoir. Pareil pour nous, quand on va dans un autre quartier, on se fait contrôler. On doit avoir des têtes de suspects… Ce sont les aléas de la vie. L’autre jour, dans les Landes, j’ai croisé un type que j’ai connu en prison, un “vieux”. Il m’a dit qu’il était vachement mieux là-bas. Il ne se fait jamais contrôler, alors qu’à Paris c’était tous les cent mètres. »
« Parfois t’es à poil en début de mois. Mais tu fais comme tout le monde, t’attends »
« Je suis sorti il y a 18 mois sous bracelet électronique. Ma résidence était chez ma mère, j’avais pas encore d’appart à moi. Pour sortir plus tôt, si t’as pas un travail ou une promesse d’embauche, c’est foutu. Alors j’avais trouvé un boulot à Bondy, grâce à la Maison de la jeunesse et du service public. Ma vie c’était ça : je taffais, je rentrais, je dormais ; je taffais, je rentrais, je dormais… Au bout de dix mois, j’avais de l’argent de côté, personne ne me l’avait donné, il était à moi. J’ai travaillé comme ça pendant un an sur un chantier, puis mon contrat s’est terminé et on m’a enlevé mon bracelet.
Aujourd’hui j’habite un F2 dans le privé avec ma copine, ses parents se sont portés garants. C’est pas très loin d’Aubervilliers. Je m’investis pas mal dans une association culturelle qui organise aussi des ateliers CV, de lettres de motivation… Faut que je retrouve un travail. J’ai passé mon permis cariste, j’essaie de dégotter d’autres formations, ça me ferait plus de diplômes. J’aimerais bien jongler : faire cariste la nuit et maçon au black la journée. Après, si j’ai la possibilité d’ouvrir une petite boîte, je le ferai, mais chaque chose en son temps. En attendant, j’ai bien compris la vie : tu taffes, tu touches ta paye. Après y’a les courses, le loyer à payer et les meubles à acheter. Parfois t’es à poil en début de mois. Mais tu fais comme tout le monde, t’attends le suivant. »
* Le prénom et la ville d’origine ont été changés.