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Yann, 3 ans de prison : « Le nombre de gars que j’ai vu revenir de promenade sans chaussures… »

Un divorce, l’alcool, le volant qu’il prend plusieurs fois dans un état second… Un jour, Yann a fauché deux piétons, dont l’un est décédé. Condamné à trois ans ferme, il a changé d’avis sur la prison, qu’il décrit comme d’un lieu « sans contact avec la vie ».

L’Observatoire international des prisons : Quels ont été les faits marquants de votre vie avant de connaître la justice  ?

Yann : Dans ma famille, nous étions cinq enfants, mais j’ai perdu deux frères. Le premier est décédé avant ma naissance, le second a eu un cancer à 23 ans. Il est mort à 28 ans, j’avais 20 ans. Ses cinq années de maladie ont constitué un tournant, j’ai cru que j’encaissais, mais en fait non. J’aurais dû aller voir un psy à l’époque. Ensuite, ma vie a été normale, mes parents ont pu m’aider pour que je suive une formation, ils étaient boulangers. J’ai commencé à travailler dans le bâtiment, me suis marié, nous avons eu des enfants. A 30 ans, j’ai perdu mon père, dont j’étais très proche. Puis il y a eu mon divorce et je me suis retrouvé seul. C’est à ce moment que j’ai pris un mauvais pli.

Le moment du basculement est celui du divorce  ? 

Oui, mon ex-femme a rencontré quelqu’un et m’a annoncé au bout d’une semaine qu’elle déménageait. La rupture a été dure, j’ai commencé à sombrer. Pour ne pas rester seul chez moi, j’allais régulièrement au bar du coin. Et il y a eu la première alerte. Je me suis fait prendre au volant avec un taux d’alcoolémie  : suspension du permis de conduire de deux mois. Je me disais que ce n’était pas grave, que j’avais fait l’imbécile mais que ça n’arriverait plus, j’estimais que je ne buvais pas beaucoup. Plutôt que d’aller causer de mon mal-être avec un psy, j’ai eu tendance à m’enterrer tout seul.

Jusqu’à une deuxième alerte  ? 

Oui, je continuais à prendre de temps en temps le volant après avoir bu. Et me suis fait arrêter un jour après un repas avec des amis. Cette fois, j’ai filé en garde à vue, avec un taux d’alcoolémie conséquent. La secousse a été plus puissante. Quand je sors de garde à vue, mon permis a été retenu et je dois attendre la convocation du tribunal. Six mois plus tard, mon permis m’est renvoyé avec un courrier m’indiquant que la convocation au tribunal arrivera plus tard. Je ne vais pas me renseigner à la gendarmerie en face de chez moi, je reprends la voiture sans savoir s’il me reste des points sur mon permis. Et arrive le fameux mois d’août 2009.

Vous n’êtes toujours pas passé devant le tribunal  ? 

Non. C’est la fin de l’été, les vacances commencent dans le milieu du bâtiment. Notre patron nous donne une bonne prime de participation aux bénéfices. Je fais la fête toute la journée avec les collègues. A un moment, on m’a mis dans un fourgon pour dessoûler. Un ami me ramène à mon domicile, je suis dans un sale état. Je me retrouve seul chez moi, je me sers de nouveau à boire et je fais la bêtise. Dans un état second, je décide de prendre la voiture pour descendre sur Rennes. Ensuite, je ne me souviens plus que des pompiers.

Vous avez eu un accident  ? 

Oui, la voiture est à l’envers, on la découpe, on me met un collier cervical. Puis je me réveille à l’hôpital, en sentant qu’il se passe quelque chose d’anormal  : j’ai une double fracture du bras qui me fait hurler, et pourtant le personnel médical est assez dur avec moi. Je vois deux policiers. Après avoir été plâtré, direction garde à vue, cellule de dégrisement. Je suis interrogé trois fois par un enquêteur, qui ne m’informe pas de ce qui est arrivé.

Sur quelles questions porte l’interrogatoire  ? 

Il me demande tout ce que j’ai fait avant l’accident, cherche à élucider mes trous noirs. Je suis réinterrogé le lendemain matin, je redis la même chose et l’enquêteur reconnaît mon «  black out  ». Il m’explique que j’ai percuté deux personnes, dont l’une est grièvement blessée, entre la vie et la mort. Je retourne dans ma cellule anéanti, je me demande ce que j’ai fait. Un peu plus tard, l’interrogateur m’emmène dehors pour fumer et je lui demande ce qui va se passer maintenant  : « Vous allez voir un juge ce soir, puis vous irez en détention. Vous serez jugé, et enfin vous sortirez en conditionnelle. »

A quoi pensez-vous à ce moment-là  ? 

Tout s’effondre. Je pense à mes enfants que je devais aller chercher pour partir en vacances. Mon affaire passe sur toutes les télévisions, avec beaucoup d’erreurs. Je veux que tout s’arrête. Je suis amené devant une juge après 48 heures de garde à vue. Elle me dit que je suis un alcoolique et ordonne la détention provisoire.

Comment se passe votre arrivée en prison  ? 

Quand je passe dans l’allée du grand quartier de Jacques Cartier [ancienne prison de Rennes, fermée en 2010, ndlr], je réalise où je tombe. Un surveillant essaie de me mettre à l’aise, de positiver, mais c’est impossible. Je me retrouve en cellule avec un homme plus âgé, qui fume en continu et hurle toute la nuit. Je craque deux ou trois fois la première nuit. Le lendemain, je subis ma première agression  : nous sommes six aux douches et un détenu me dit qu’il veut mes baskets. Je prends deux ou trois coups de poing. Mais je ne lui donne pas les chaussures. Quand je retourne en cellule, un surveillant me demande si j’ai eu des soucis. La prison commence dans ma tête, je ne dis rien.

Comment intégrez-vous les codes de la prison  ? 

Lors de ma première promenade, tous les détenus me connaissaient déjà à cause des médias. Ils m’appelaient «  le cascadeur  ». Un mot avait été envoyé pour moi par Yoyo. C’était le fils d’un collègue de travail, je ne savais pas qu’il était incarcéré. Je suis soulagé de ne pas être seul, il y a quelqu’un que je connais. Quand je rentre en cellule, un surveillant me transmet un gros sac poubelle avec du sirop, des pâtes, de l’huile, des petits gâteaux… Le luxe, pour la prison. A la fin de la semaine, je croise un autre détenu qui me propose de demander à partager sa cellule. J’aurais préféré rester seul, mais les surveillants refusent, ils ont peur que je me suicide. Je suis affecté dans la cellule que j’ai demandée, celle de Samuel. Il s’avère que lui aussi, je le connais un peu, il est de la même commune que moi, et incarcéré pour la troisième fois. C’est lui qui m’apprend vraiment la prison : je dois sortir en promenade, montrer que je n’ai pas peur… Il m’explique comment faire des demandes  : bibliothèque, travail, etc.

Etes-vous informé des suites de votre affaire, voyez-vous votre avocat  ? 

Ni mon avocat ni l’administration pénitentiaire ne m’ont informé de ce qui était arrivé à la victime gravement blessée. J’apprends son décès dans le journal un samedi matin. Et je pète un plomb dans ma cellule. Au surveillant qui arrive, je crie : « J’ai tué quelqu’un. » On m’amène dans le bureau du chef de bâtiment, qui se contente de me dire : « Bah, c’est comme ça » et de me demander si je suis suicidaire. Comme je réponds «  non  », on me renvoie en cellule. Dans les jours qui suivent, je reçois un courrier de ma sœur qui m’informe qu’elle est sous calmants, que toute la famille a été interrogée.

Que deviennent vos liens avec vos proches pendant la détention  ? 

J’écris à mon ex-femme, qui ne me répond pas. Je mets du temps à écrire à ma mère, car je me sens comme un assassin. Et je suis bien placé pour savoir ce que veut dire perdre un proche. Ce sont deux personnes plus éloignées qui me soutiendront pendant ma détention  : un ancien collègue pompier à la retraite et une amie que je n’avais pas vue depuis dix ans.

Comment avez-vous vécu ce procès et la peine prononcée  ? 

L’entrée dans le box est pesante, je sais le tort que j’ai causé. J’ai un seul regard en direction du public, vers les enfants de ma victime. Le reste du temps, j’ai la tête entre les jambes et je pleure. J’entends défiler toute ma vie, je ne suis pas d’accord avec tout ce qui est dit. Mon avocat m’avait prévenu, mais on n’est jamais assez préparé, c’est violent. Pour les victimes, même si je prends huit ans, ce ne sera pas assez, c’est irréparable. Et pour moi, quelle que soit la peine, je penserai toute ma vie à ce monsieur qui est mort. Je présente des excuses aux victimes, mais ça ne vaut rien, elles me haïssent et c’est normal. Le lendemain, la peine est prononcée  : quatre ans de prison dont un an avec sursis mise à l’épreuve de trois ans. Je m’attendais à plus, mais l’idée des deux ans de prison qui me restent à purger m’assomme. C’est alors que mon avocat vient m’expliquer que je peux déjà demander une libération conditionnelle. Je pense à la famille de la victime qui croit que je repars pour des années de prison. Cela me paraît dingue.

Comment se passe votre retour en prison  ? 

La grande nouveauté, c’est qu’une fois condamné, j’ai le droit de téléphoner. J’appelle à mon ancien travail, où la secrétaire m’apprend que le patron ne m’a pas licencié. Je ne saurai jamais comment l’en remercier. Le comptable me transmet les papiers dont j’ai besoin pour ma demande de conditionnelle, que je dépose début juillet. Paradoxalement, l’attente des quatre mois avant que soit examinée ma demande me paraît incroyablement longue. Chaque jour, j’attends le petit papier de convocation.

La libération conditionnelle vous est accordée  ? 

Oui, je passe en audience en octobre 2010 et le juge me dit à la fin de téléphoner à mon patron pour l’avertir que je vais bientôt reprendre. Je retourne en cellule en sachant que je vais être libéré.

Dans quel état d’esprit passez-vous vos derniers jours de prison  ? 

Je ne dors plus, je me dis : « Ça y est, je vais sortir, tout va être magnifique. » Je donne tout ce que j’ai acheté en prison, dont une chaîne hifi, à un jeune détenu qui n’a rien. J’ai le temps de remercier des surveillants qui ont été bien avec moi. J’avais refusé que des amis viennent me chercher le jour de la sortie, car je savais que ce serait dur. J’ai marché toute la journée dans la ville de Rennes. J’avais l’impression de porter l’étiquette de détenu.
De retour au travail, il y a eu des regards durs. Et d’autres collègues qui me disaient que cela aurait pu arriver à n’importe qui.

Avez-vous retrouvé vos amis, votre entourage  ? 

Non, j’ai coupé les ponts avec tout le monde. J’avais besoin d’une rupture avec mon passé. Les premières nuits, j’entendais encore les bruits des portes de la prison. J’étais même gêné de ne plus entendre hurler. Beaucoup m’ont dit que j’aurais mérité de rester en prison plus longtemps, ils ne se rendent pas compte de ce que peuvent être 24 heures de détention. Même un surveillant qui nous voit tous les jours ne mesure pas ce qu’est d’être enfermé de l’autre côté. Moi, je ne pourrai jamais l’oublier.

Vous avez changé de regard sur la prison  ? 

Oui, je pensais comme la plupart des gens avant  : « S’il a fait ça, il est bien en prison. » Mais il faut l’avoir vécu pour comprendre. C’est un lieu sans contact avec la vie. A Vezin, on ne voit plus rien de l’extérieur, rien que de la taule et du béton. Je suis sorti depuis trois ans, et il m’arrive encore d’entendre les bruits des serrures des portes, les verrous du haut qui se ferment tous les soirs. C’est aussi un milieu très violent, où l’on doit constamment être sur ses gardes. Le nombre de gars que j’ai vu revenir de promenade sans chaussures… D’autres prennent des coups de poing pour les obliger à cantiner pour un autre. Certains commandent 35 paquets de cigarettes alors qu’ils ne fument pas. La loi est celle des détenus. Tant que cela ne déborde pas, les surveillants laissent faire.

Comment s’est déroulé le suivi en conditionnelle  ? 

Je devais apporter au Spip une fiche de paie, des justificatifs de soins et de domicile. Mais je n’arrivais pas à trouver un logement fixe. Comme je devais beaucoup d’argent à l’Etat, mes comptes bancaires étaient bloqués. On croit que la prison, c’est fini quand on sort, mais elle vous rattrape. Comme je n’avais pas de justificatif de domicile, le juge de l’application des peines m’a convoqué et m’a donné quinze jours pour donner une adresse fixe. Je n’ai pas réussi dans ce délai, mais je n’ai plus reçu de convocation et j’ai encore commis l’erreur de laisser filer. Un matin, la police a frappé à ma porte. Je suis actuellement en appel pour éviter la révocation de mon sursis. La justice, ce n’est jamais fini.

Propos recueillis par Samuel Gautier