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« Mon 13 novembre à Fresnes »

Derrière les murs de sa cellule de Fresnes, un détenu raconte son 13 novembre. Les bruits anormaux qui se répandent comme une trainée de poudre, l’inquiétude pour ses proches, l’impossibilité de les contacter, faute de téléphone portable autorisé… Dans la lettre reçue avec ce texte « libre de droits », il se dit « scandalisé » par cette prison qui fabrique « la récidive plutôt que la réinsertion ».

« J’ai bien senti que quelque chose se passait. C’était pas un but. C’était autre chose. Mais je continue de regarder mon émission. Les portes n’ont pas tremblé. Peut-être un but pour l’Allemagne. Cette satanée télévision qui accapare mon regard me dira le score tout à l’heure. Je continue.

La prison tremble à nouveau, niveau sensoriel je capte un but mais aussi un petit quelque chose de nouveau. Ça fait pourtant deux ans que je suis là, les sons, je commence à les maîtriser. Je zappe, je sais que quelque chose s’est passé. C’est obligé. Le Bataclan est assiégé… Punaise, le bar rue de Charonne. Voltaire, le Stade de France… ! Autant d’endroits où j’aurais été susceptible d’être en d’autres circonstances.

Las, je n’en peux plus et retourne sur ma série, chez eux, les morts sont pour de faux. Par la fenêtre, j’entends comme des bruissements malades. D’habitude, les diverses manifestations sonores sont des invectives, des casseroles qui xylophonent, les barreaux, des coups sur les portes, les « Allah ou Akbar »1 (faudrait savoir à la fin). Des « Ouééééé onvaléniké » ou des « Ouééééé onvavouniké »…. Diverses options concernant la mère de beaucoup de gens fleurissement également. Mais là, c’est comme si personne n’était au point, certains étaient manifestement heureux et soudain de nombreuses conversations trans-barreaux ont éclaté.

Bien étranges, irréelles conversations entre certains heureux et d’autres, leurs frères, qui craignaient pour leur famille, pour les leurs, pour leur religion même. Les ondes de désespoir ricochaient entre les façades vers les inconscients qui réalisaient à peine ce que tout ceci commençait à vouloir dire. Un pas a été franchi. Les répercussions seront terribles. Les frontières sont déjà fermées, tout le monde est sur les dents. A quand l’armée dans les cités, l’état d’urgence, les rafles. Les Rafales ? Les dénonciations vont reprendre leur cours abandonné en 1945, les prisons vont saturer. Au secours.

Il faut que j’appelle ma fille, il n’y a pas de raison qu’elle ait été près du front hier mais avec des « si », il y a beaucoup de raisons que le cas échoit. J’ai des potes aussi dehors qui ne crachent pas sur une petite terrasse parfois, surtout un vendredi soir. L’angoisse monte au fil de ces lignes, chacun de ces endroits je les connais. J’ai habité à Répu’, je connais du monde là-bas. J’aimerais savoir si des proches, des connaissances ont été touchées. Comment faire ? Ce n’est pas dans ma cellule que je vais trouver internet ou un téléphone. J’ai mis le drapeau pour aller téléphoner. J’attends, je ne suis pas le seul à avoir besoin de communiquer. Finalement, je vais devoir aller en promenade pour passer quelques coups de fil si le téléphone fonctionne, s’il n’y a pas de queue. Surtout s’il fonctionne…

Les surveillants sont tendus. On sent que le moindre accrochage peut faire des étincelles générant les blocages qui vont avec. La machine carcérale est une monstrueuse horlogerie qui digère les hommes dans ses rouages et la météo annonce une tempête de sable… Au secours. »

(1) L’orthographe n’a pas été modifiée.

(2) Morceau de papier glissé par un détenu dans la fente de la porte de sa cellule pour interpeler le surveillant.

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