Une surveillante a été condamnée, le 29 juillet 2024, à huit mois de prison avec sursis et une interdiction d’exercer pendant deux ans pour des violences contre une personne détenue à la prison de Villefranche-sur-Saône. Un jugement qui repose largement sur un élément de preuve rarissime : une vidéo filmée depuis une cellule voisine.
« Très heureusement, il y a cette vidéo filmée par un détenu ! » C’est la procureure qui le dit, mais le constat revient régulièrement à l’audience, le 29 juillet, devant le tribunal de Villefranche-sur-Saône. Si la violente agression de Monsieur C. par une surveillante pénitentiaire peut être jugée, c’est en effet parce qu’une autre personne détenue au centre pénitentiaire de Villefranche a clandestinement filmé la scène sur un téléphone portable, interdit en prison. Sans cette preuve irréfutable, qui a largement circulé et entraîné l’ouverture d’une enquête, que serait-il arrivé ?
Présenté comme psychologiquement fragile, Monsieur C. n’est pas présent à l’audience et son avocate n’a pas pu s’entretenir avec lui de l’incident, survenu en cour de promenade le 28 janvier. Au cours de l’instruction, il aurait expliqué avoir refusé de réintégrer sa cellule et s’être déshabillé en signe de protestation, parce que ses demandes répétées d’être reçu à l’unité sanitaire étaient ignorées. Devant les injonctions d’un surveillant, il se serait finalement rhabillé, sans remettre ses chaussures, puis le ton montant, il aurait tenté de lui assener un coup de poing. Le surveillant aurait reculé et actionné l’alarme pour appeler des renforts, avant de revenir vers lui, accompagné de Madame S., jugée le 29 juillet.
C’est alors que débute la vidéo. Tandis que son collègue maîtrise Monsieur C., Madame S. lui administre pas moins de sept coups de genou, trois coups de poing dans le ventre et trois autres à la tête. Des coups qui n’ont rien à voir avec « les techniques admises », relève un expert cité à l’audience, d’autant que la victime n’est « pas ou plus violente ». Monsieur C. « ne présente pas de risque », « il s’affaisse tout de suite, mais vous continuez à lui mettre des coups », insistent les magistrats. Un certificat médical fait notamment état d’une dent cassée, d’un traumatisme crânien, de divers hématomes et d’une plaie à l’arcade sourcilière ayant nécessité des points de suture.
Une condamnation rare
À la barre, tout en présentant ses regrets et en reconnaissant un emploi de la force « disproportionné », Madame S. invoque un « effet tunnel » et le « ressenti » d’une menace, exacerbé par des cris hostiles venant des fenêtres du bâtiment, des agressions antérieures de la part d’autres personnes détenues, et les antécédents rapportés de Monsieur C. « Tout ce que je veux à ce moment-là, c’est qu’il ne me touche pas… Dans ma tête, c’est lui ou moi », explique-t-elle devant les juges. Une perception des événements qui, d’après son récit, s’est maintenue jusqu’à ce qu’elle visionne la vidéo, et qui affleure encore par moments à l’audience. « Ce qui pose la question de votre fonction et de votre capacité à l’occuper », fait observer une magistrate.
Reconnue coupable de violences par une personne dépositaire de l’autorité publique ayant entraîné une ITT inférieure ou égale à huit jours, Madame S. sera finalement condamnée à huit mois de prison avec sursis, assortis d’une obligation de soins, de l’éventuelle indemnisation de la victime et d’une interdiction d’exercer pendant deux ans. Le jugement est à exécution provisoire : ces obligations sont donc immédiatement applicables, même si Madame S. fait appel de la décision. Une mesure rarement prononcée, mais déjà mise en œuvre par le même tribunal à l’encontre d’un autre surveillant de Villefranche-sur-Saône, condamné pour violences en 2022.
Le procès n’aura cependant pas permis de dissiper toutes les zones d’ombre de l’affaire, notamment sur d’autres épisodes de violence éventuels à l’encontre de Monsieur C : ses déclarations à la police, recueillies par l’intermédiaire d’un interprète et présentées comme confuses, évoquaient différents incidents, mais faute d’éléments, seule l’agression filmée a été retenue.
Une affaire symptomatique
Du moins l’audience aura-t-elle permis d’éclairer un épisode symptomatique de dysfonctionnements structurels : gestion carcérale et disciplinaire des troubles psychiatriques, manque de personnel, climat de violence omniprésent – en particulier à Villefranche-sur-Saône… « Monsieur C. est atteint de pathologies qui ne devraient pas relever de la prison. […] Madame S. n’est pas formée à cela », plaide ainsi l’avocat de la défense, qui souligne par ailleurs que le jour des faits, un dimanche, le poste d’information et de contrôle (PIC) était vacant et qu’« aucun responsable n’était présent sur place ».
Mais le plus symptomatique est bien le traitement de l’incident. Après son passage à tabac, Monsieur C., présumé agresseur, a aussitôt été emmené au quartier disciplinaire (QD). Un gradé ayant « constaté qu’il saignait », il a tout de même été conduit à l’unité sanitaire de la prison, puis aux urgences, mais « en l’absence d’information particulière », il a été replacé au QD. Lors de son passage devant la commission de discipline, deux jours plus tard, celle-ci a constaté que les images de vidéosurveillance de la cour de promenade « n’étaient pas disponibles ». Il faudra attendre une semaine, pendant laquelle la vidéo clandestine circule largement sur Internet, pour qu’un premier certificat médical soit établi, puis une autre semaine avant qu’un second certificat plus complet liste l’ensemble des blessures subies. « Il n’y avait rien dans votre rapport initial », insiste un magistrat à l’adresse de Madame S. « Sans cette vidéo, un détenu aurait été agressé sans que personne n’en sache rien. »
Violences de surveillants : l’omerta
L’importance de cette vidéo dans la manifestation de la vérité rappelle en effet, par contraste, les difficultés que rencontrent généralement les personnes détenues pour accréditer leurs plaintes quand ils font l’objet de violences de la part d’agents pénitentiaires. Les images de vidéosurveillance manquent souvent à l’appel et il est rare que de telles violences se déroulent en cour de promenade, devant de nombreux témoins. Un rapport d’enquête de l’OIP notait en 2019 que « les faits se déroulent souvent à l’abri des regards, en cellule […], dans les salles de fouille et les salles d’attente, lors des extractions ». La collecte des preuves relève donc d’un véritable « parcours du combattant », d’autant que la sécurité et les conditions de travail des éventuels témoins et lanceurs d’alerte « dépendent d’un équilibre fragile qu’ils peuvent hésiter à bousculer ». Le rapport soulignait que « dans la grande majorité des cas portés à la connaissance de l’OIP, la plainte a été classée sans suite », souvent « sans même qu’une enquête préliminaire n’ait été menée – ou dans des délais […] tels que les quelques éléments de preuve qui pouvaient exister ont généralement disparu ».
Des constats qui n’ont rien perdu de leur actualité, comme en témoigne l’ampleur des violences constatées par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) à la maison d’arrêt de Tarbes en juin, malgré des signalements répétés (voir p. 10). « Aucune des mesures que de telles pratiques appellent – disciplinaires ou judiciaires – n’a été prise et les autorités judiciaires n’ont pas été avisées en temps utile de l’ensemble de ces signalements », souligne-t-elle.
L’administration pénitentiaire est pourtant responsable de la sécurité des personnes détenues. Celles-ci « se trouvant entièrement sous le contrôle des autorités », la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) considère même qu’« il incombe à l’État de fournir une explication convaincante quant à l’origine de [leurs] blessures »[1]. Encore faudrait-il que les signalements puissent être systématiquement traités, et pris au sérieux, via des mécanismes d’alerte et d’enquête efficaces.
Par Johann Bihr
Cet article a été publié dans le Dedans Dehors N°124 : Dix fois plus de suicides en prison qu’à l’extérieur
[1] CEDH, Alboreo c. France (requête n°51019/08), 20 octobre 2011