Avec le déconfinement, les mouvements dedans-dehors s’accentuent, emportant avec eux un risque accru de faire entrer le virus en détention. Pour limiter ce risque, des quatorzaines ont été mises en place. Non sans poser quelques difficultés à l’administration pénitentiaire, tant différentes logiques s’affrontent.
Reprise des audiences dans les tribunaux, des extractions judiciaires et médicales ou encore des permissions de sortir… Avec le déconfinement, les mouvements entre les prisons et le monde extérieur ont progressivement recommencé, à partir du 11 mai. Considérant l’impératif de garder le virus hors des murs, la Direction de l’administration pénitentiaire avait initialement décidé de soumettre à une quatorzaine tous les entrants, qu’ils soient primo-arrivants, de retour de permission ou d’extraction(1). Une décision qui avait soulevé l’opposition du corps médical : « Une quatorzaine au retour d’extraction nous semblait parfaitement injustifiée, explique Béatrice Carton, présidente de l’Association des professionnels de santé exerçant en prison (Apsep). Les détenus sortent avec des surveillants pénitentiaires, respectent les gestes barrières, peuvent mettre du gel hydro-alcoolique ou se laver les mains et portent un masque durant toute l’extraction. Il n’y a aucune raison qu’ils soient pénalisés avec une quatorzaine au retour. »
D’un point de vue strictement logistique, l’idée de cette quatorzaine pour tous risquait surtout vite de devenir intenable pour les établissements. En effet, elles sont généralement effectuées dans les quartiers arrivants, où le nombre de places est limité : y faire cohabiter quatorze jours durant nouveaux entrants, permissionnaires et extraits se serait révélé tout bonnement impossible, surtout avec la reprise de l’activité judiciaire et la hausse des entrées quotidiennes en détention. Un arbitrage interministériel est finalement venu trancher la question le 19 mai : la quatorzaine sera obligatoire pour les arrivants et les permissionnaires, mais les personnes de retour d’extraction en seront dispensées(2). Une mesure qui soulage les zones de confinement, lesquelles n’en demeurent pas moins encombrées. Pour lutter contre cet engorgement, l’administration tente donc autant que possible de limiter les quatorzaines. En jouant sur leur durée d’abord : un test de dépistage est désormais proposé sept jours après l’entrée (ou le retour) en détention. En cas de résultat négatif, les modalités de confinement peuvent alors être « allégées », édicte la note émise le 2 juin par l’administration pénitentiaire. Une consigne qui inquiète les personnels de santé, le temps d’incubation, très variable d’une personne à l’autre, pouvant dépasser les sept jours et le pourcentage de faux négatifs environnant les 30 %. Si, pour les soignants, « allégement » ne doit pas être synonyme de retour à la normale, ils craignent que les directions locales ne profitent de la formulation vague de cette note pour lever la quatorzaine à J+7 et renvoyer les entrants en détention classique, afin de libérer de la place dans les quartiers arrivants. Une crainte qui tend à se vérifier. « De retour de ma permission, on m’a expliqué que j’allais être testée dans sept jours. Si le test s’avère négatif, je pourrai remonter en bâtiment et retrouver ma cellule, m’a-t-on expliqué », détaille Laura, détenue dans un établissement du centre-est de la France. D’autres prisons ont choisi de s’affranchir totalement de ces délais : à la prison des Baumettes, aucune quatorzaine n’est prévue pour les revenants de permissions, d’après une source judiciaire. À Colmar, un jeune homme a été affecté directement en détention classique dès son placement sous écrou, avec deux codétenus dans sa cellule, pour cause de quartier arrivants complet. Quelques jours plus tard, il se révélait positif au Covid-19.
Pressions à tous les étages
Une autre pratique, pour le moins choquante, semble s’être développée pour limiter le nombre de personnes placées en quatorzaine : certains conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation rapportent en effet avoir reçu oralement la consigne de n’émettre que des avis négatifs sur les demandes de permissions de sortir qui leur étaient soumises. Une pratique « contraire à toute déontologie », s’insurge une représentante syndicale. Or, si la décision finale revient au juge, ce positionnement de l’administration oriente néanmoins les débats. « L’avis du CPIP étant biaisé, le juge ne bénéficie pas des avis circonstanciés qui l’aident habituellement à prendre sa décision, explique Anne-Sophie Wallach, du Syndicat de magistrature. Surtout, on sous-entend qu’en accordant une permission de sortir, nous mettons une détention entière en danger. » La demande a alors toutes les chances d’être refusée, pour des raisons qui ne devraient pas entrer en ligne de compte. Si certains détenus sont déboutés de leur demande par des juges, il arrive que d’autres y renoncent d’eux-mêmes, ne se sentant pas prêts à affronter la période de quatorzaine qui les attend à leur retour. « Il avait prévu de demander une permission, mais comme il devrait rester confiné en rentrant à la prison, il a renoncé », témoigne ainsi la femme d’un détenu. Changés de cellule, isolés des promenades et de leurs contacts habituels, ces quatorze jours peuvent en effet sembler être un trop lourd prix à payer. « Être confinée en revenant, c’est quand même un peu dur. On ne va pas se mentir, c’est un peu comme être au mitard », explique Laura, qui a hâte de retrouver sa cellule. Les affaires des personnes confinées sont bien censées les suivre durant la quatorzaine, mais… « vous savez bien que ça se fait rarement ! », s’exclame un membre de l’administration pénitentiaire. Autant d’éléments qui se conjuguent pour décourager les personnes détenues de solliciter des permissions, pourtant essentielles à la préparation à la sortie et au maintien des liens familiaux.
Par Charline Becker
(1) Note DAP du 6 mai 2020.
(2) La note de la DAP du 2 juin incite par ailleurs fortement à privilégier le recours aux visioaudiences – un système dont l’usage tendait déjà à se répandre avant le confinement.