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Loi pénitentiaire : le compte n’y est (toujours) pas

Invités par la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois à se livrer à un « service après vote » lors d’un débat sur l’application de la loi pénitentiaire, les sénateurs se sont penchés, le 25 avril 2013, sur les difficultés « structurelles » de la prison. Avec pour support le rapport très critique rendu en juillet 2012 par leurs pairs Nicole Borvo Cohen-Seat (groupe communiste républicain et citoyen) et Jean-René Lecerf (UMP), qui dressait un constat sans appel : « les réalités de la vie carcérale [demeurent] encore éloignées des objectifs poursuivis par le législateur (1) » en 2009.

C’est un exercice trop rare auquel se sont livrés les sénateurs. Un « service après vote » indispensable, selon Jean-René Lecerf, qui consiste à contrôler la mise en œuvre effective de dispositions voulues et adoptées par le législateur. Plus de trois ans après la promulgation de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, le constat est sans appel : les ambitions d’alors sont encore loin d’être atteintes. Faute de publication des textes réglementaires permettant leur application effective, certaines dispositions n’ont jamais vu le jour, telles la consultation des personnes détenues sur leurs activités ou l’évaluation indépendante des taux de récidive par établissement. Sur le premier point, le sénateur a obtenu de la ministre de la Justice la promesse que le texte verrait « prochainement » le jour. Le second a tout simplement été abandonné, Christiane Taubira a en effet estimé suffisant de s’appuyer sur le « service statistique » du ministère de la Justice et sur l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), quitte à « retravailler le décret relatif à cet organisme» afin d’«assurer la performance de l’Observatoire national ». « Voilà donc un décret de moins à rédiger ! » s’est félicitée la garde des Sceaux. D’autres dispositions, par exemple l’exigence d’un décret d’application sur les règlements intérieurs types par catégorie d’établissements, ont connu une publication tardive… et pour le moins décevante. Des motifs aussi flous que « les contraintes inhérentes à la détention » ou « la prévention de la récidive » étant utilisés pour justifier de restrictions à l’exercice des droits des personnes détenues, le texte publié le 30 avril 2013 perpétue l’arbitraire auquel devait remédier la loi pénitentiaire. (1)

Une application « évanescente » de la loi

Jean-René Lecerf déplore une application « que l’on peut qualifier de trop mesurée, pour ne pas dire d’évanescente » de nombreuses dispositions adoptées il y a plus de trois ans. Il précise que « bien des efforts restent à accomplir » pour mettre en œuvre l’obligation d’activités, ce terme englobant le travail et la formation professionnelle. Le sénateur regrette d’ailleurs l’inadaptation des locaux à leur développement, y compris dans certains établissements récemment construits. La proposition visant à accorder la « priorité […] dans le cadre des marchés publics » aux productions des ateliers de la Régie industrielle des établissements pénitentiaires (la RIEP emploie environ 1 200 détenus) est restée lettre morte. Tout comme celle qui devait permettre de confier aux régions la responsabilité de la formation professionnelle des détenus, qui s’est heurtée à l’existence de contrats déléguant cette mission à des prestataires privés. Les indemnisations induites par un tel transfert ont fait reculer les pouvoirs publics. Il en est de même pour les fouilles à nu, fortement limitées et encadrées par la loi, mais qui demeurent en réalité pratiquées de façon systématique dans nombre d’établissements. Le parlementaire s’attaque également à l’une des mesures emblématiques du texte : l’examen pour l’aménagement des peines de moins de deux ans de prison. L’étude d’impact, annexée à la loi pénitentiaire, estimait nécessaire la création de 1 000 postes de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation pour la mise en œuvre de cette disposition : « nous en sommes bien loin », conclut-il au vu des quelque 300 postes créés depuis lors au titre des « métiers de greffe, de l’insertion et de l’éducation (2) ». Et de constater que « la nécessaire diversification des aménagements de peine n’a pu s’opérer », la surveillance électronique supplantant le placement à l’extérieur, la semi-liberté ou la libération conditionnelle, qui « constituent pourtant les mesures à la fois les plus adaptées aux personnes les plus vulnérables et les plus efficaces pour lutter contre la récidive ».

Un consensus politique autour d’une réalité carcérale « intenable »

En France, la « privation de liberté intervient le plus souvent dans des conditions que nous ne pouvons cautionner et qui portent atteinte au respect impérieux de la dignité humaine », dénonce Frédérique Espagnac (groupe socialiste). La sénatrice a souhaité rappeler que « dans des cellules d’une dizaine de mètres carrés cohabitent parfois quatre, cinq, voire six personnes ; elles sont soumises à des fouilles corporelles qui représentent une humiliation et un choc ; elles subissent une violence banalisée, ainsi que la perte de leur vie privée, voire de toute intimité ». Toutes couleurs politiques confondues, les orateurs s’alarment d’une situation que Jacques Mézard, président du groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), qualifie d’« intenable pour tout le monde ». Jean-Jacques Hyest (UMP) a quant à lui tenu à soulever « le problème des malades mentaux en prison », que la loi pénitentiaire de 2009 n’a pas traité. Pour Nicolas Alfonsi (RDSE), « la réinsertion passe par l’accès à des droits sanitaires et sociaux dont l’effectivité n’est pas encore satisfaisante ». Le sénateur Hyest a en n déploré qu’il y ait toujours « trop de sorties sèches » (« plus de 80 % des sorties », précisera Christiane Taubira). Ces constats partagés devraient rassurer la ministre quant au soutien qu’un projet de loi pénale pourrait recevoir au Sénat.

Une ministre qui a tenu à défendre le bilan de sa première année à la Chancellerie, annonçant la construction de 135 unités de vie familiale (UVF) en 2014, « dans une soixantaine d’établissements » – seuls 19 des 191 prisons françaises disposent actuellement d’UVF, alors que la loi de 2009 prévoit que toute personne détenue ait droit à ces visites préservant son intimité et celle de ses proches. Les constructions se poursuivront afin d’atteindre les 232 unités en 2015, « qui couvriront 131 établissements ». La garde des Sceaux a également indiqué aux parlementaires que les formations professionnelles sont en hausse de 9,6 % par rapport à 2011, que 800 nouvelles places de semi-liberté seraient créées dans les trois années à venir et que le budget consacré au placement extérieur augmenterait de 12 %… Avant de concéder qu’« il reste beaucoup à faire ».

Samuel Gautier

(1) J-R. Lecerf et N. Borvo Cohen-Seat, Rapport d’information fait au nom de la commission des lois et de la commission pour le contrôle de l’application des lois, 4 juillet 2012.

(2) J.-R. Lecerf, Avis sur le projet de loi de finances pour 2013, t. xII, Justice : Administration pénitentiaire, Sénat, no 154, 22 novembre 2012.