Quatre ans après son ouverture, focus sur l’Unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Lyon. Destinée aux personnes détenues atteintes de pathologies psychiatriques lourdes ou en crise, l’unité ne répond pas à l’ensemble des besoins d’accueil (en particulier les urgences), mais assure une qualité de prise en charge supérieure à celle réservée aux détenus en psychiatrie ordinaire.
Ouverte en mais 2010, l’UHSA Simone Veil de Lyon est la première issue d’un plan de construction qui en prévoyait dix-huit sur le territoire. Aujourd’hui, sept UHSA fonctionnent et le ministère de la Justice annonce l’ouverture de huit autres à partir de 2015. Situées au sein d’un hôpital psychiatrique, les UHSA sont des structures de soins hybrides entre prison et hôpital, l’administration pénitentiaire restant chargée de la sécurité extérieure des locaux et d’intervenir en cas d’incident. La plupart des règles régissant la vie en détention s’y appliquent, auxquelles s’ajoutent celles de l’hôpital, telle l’interdiction de fumer à l’intérieur.
A la différence des Services médico-psychologiques régionaux (SMPR) implantés dans certaines prisons, ces unités peuvent admettre des patients sans leur consentement, ainsi qu’assurer un programme de soins et d’activités complet avec hospitalisation de jour comme de nuit. Les UHSA ont aussi été créées pour palier aux déficiences du secteur hospitalier dans la prise en charge des personnes détenues : outre le manque de lits et les hospitalisations écourtées, les patients y sont, comme le relève le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), « presque systématiquement mis en chambre d’isolement pendant toute la durée de leur hospitalisation, généralement sous contention complète pendant les premières 48 heures, voire pendant tout leur séjour ». Une mesure dictée « par des considérations de sécurité et non par leur état clinique » (1).
Un recours excessif au personnel pénitentiaire
Dans les UHSA, l’administration pénitentiaire assure la « sécurité périmétrique », à savoir le contrôle des entrées et sorties, les fouilles des locaux et des personnes, les transferts, l’ouverture électronique des portes d’accès aux unités ou aux cours de promenade… Les personnels pénitentiaires sont aussi chargés du parloir pour les visites des familles, des rencontres avec les aumôniers de prison, du courrier… comme dans un établissement pénitentiaire ordinaire. Ils ne peuvent intervenir au sein des unités de soins qu’à la demande du personnel soignant, équipé d’un système d’appel.
Or, après sa visite à l’UHSA de Lyon, fin 2010, le CPT faisait état de « démonstrations de force » de la part des surveillants pénitentiaires à l’occasion de leurs interventions en zone de soins.
Le Comité soulignait aussi que le personnel de surveillance était fréquemment appelé pour des situations ne nécessitant pas son intervention. Les demandes de « prêt de main forte » sont en effet restées très élevées à l’UHSA jusqu’en 2012, avant de s’infléchir en 2013. Le CPT recommandait que les alertes soient « déclenchées de manière exceptionnelle » lorsque le personnel soignant « n’est pas en mesure de faire face à une situation à risque ». Or, un responsable explique aujourd’hui que « les soignants continuent de faire appel à l’AP dans des situations où ils ne sont pas plus dépassés que d’habitude ». De l’avis d’un surveillant, « cinq fois sur six, c’est considéré comme une fausse alerte ». Il précise que les interventions les plus fréquentes concernent des détenus ayant « récupéré du tabac, alors qu’ils n’ont pas de droit de fumer dans les chambres, et qui refusent de le rendre ». Autre cas de figure : les détenus placés en cellule d’isolement ont des systèmes de contention « toute la journée », sauf à certains créneaux « d’environ deux heures par jour ». Lorsque le personnel soignant veut remettre les moyens de contention, certains détenus « ne veulent pas », ce qui entraîne le recours aux surveillants. Des personnels pénitentiaires qui ne reçoivent aucune formation axée sur le relationnel en milieu psychiatrique : « nous nous basons sur la formation faite par les ERIS [Equipes régionales d’intervention et de sécurité] dans le cadre de la formation initiale, fondée principalement sur des techniques d’intervention ». Différence notable avec les établissements pénitentiaires, les surveillants de l’UHSA de Lyon sont armés : pistolet automatique 9 mm à la ceinture, bâton télescopique et menottes !
Des régimes… différenciés
L’UHSA de Lyon est organisée en trois unités de vingt lits, ayant chacune un régime spécifique. L’unité C « d’accueil et de soins intensifs » est destinée à la gestion des crises et des « malades psychiatriques difficiles » et/ou ayant « des troubles importants du comportement » (2). Son régime est particulièrement contraignant : chambres d’isolement, contention, portes des cellules fermées et impossibilité de circuler sans personnel soignant… Dans l’unité B de « soins individualisés », destinée aux « épisodes aigus » ou aux « personnes nécessitant une protection », le régime de détention est quasiment le même. Ces deux unités, situées au premier étage, partagent une même cour de promenade au rez-de-chaussée, compliquant les mouvements. Elles disposent aussi d’une cour dite « exutoire » située sur les toits, de « conception relativement oppressante » selon le CPT. Un surveillant la décrit : d’environ « cinq mètres sur huit, quatre murs en béton, avec un grillage qui sert de plafond à une hauteur d’environ 3,50 m avec du concertina ». Un soignant ajoute : « Ça ressemble vraiment à une cour de quartier disciplinaire, on en n’est pas fiers ». A noter toutefois : « contrairement à une cour de QD, c’est propre, c’est un hôpital, on nettoie tous les jours ! ».
Dans l’unité A de « soins collectifs », située au rez-de-chaussée, le régime de détention est plus souple : les patients peuvent circuler à certaines heures de la journée au sein de l’unité et du patio (cour de promenade), les portes des cellulesn’étant pas fermées en continu. L’unité A est destinée aux personnes présentant « des pathologies de longue évolution » et à la « préparation de la sortie (resocialisation/réhabilitation/ réintégration du milieu pénitentiaire) ». Si le fonctionnement des unités de l’UHSA s’est globalement assoupli, devenant « moins sectaire que sur le protocole » selon un soignant, cela n’a pas été le cas au sein de l’unité C, semble-t-il en raison d’un refus de l’administration pénitentiaire. Un responsable confie : « Je souhaite que ça fonctionne comme un hôpital, c’est-à-dire les portes ouvertes. C’est déjà beaucoup le cas à l’unité A, il faut un peu plus de temps pour les unités B et C ».
En fonction du profil du patient-détenu, son affectation dans une unité ou une autre est décidée par un médecin de l’UHSA. Néanmoins, la plupart des arrivants sont dans un premier temps placés à l’unité C, au régime de détention le plus strict, avant éventuellement d’en changer. Un retour en unité C ou B reste également possible à tout moment. En 2013, la durée moyenne de séjour dans les deux unités les plus sécurisées était de 43 jours, et de 91,5 en unité A.
Un programme d’activités étoffé
A l’issue de sa visite, le CPT faisait état de conditions de séjour « excellentes » dans les chambres, caractérisées par « l’espace », la « lumière » et l’« aération ». Chacune est dotée d’une salle de bains, d’un poste de télévision et d’un panneau mural personnalisable pour afficher des photos. Le CPT se montrait néanmoins critique sur la présence de barreaux aux fenêtres, s’interrogeant sur le message envoyé par ce dispositif. Il est rejoint par un soignant interviewé par l’OIP, qui estime que « c’est vraiment resté de la prison, ça ». Le catalogue de cantineest pour sa part bien plus restreint qu’en détention : il est limité aux denrées non périssables, les patients ne disposant pas de réfrigérateur en cellule.
Depuis l’ouverture de l’UHSA, le programme d’activités s’est étoffé, corrigeant les premiers constats du CPT. Ce dernier pointait des espaces « quasiment inutilisés » et une activité qui se limitait « le plus clair du temps à regarder la télévision ou converser pendant les horaires d’ouvertures des portes ».
Depuis, l’Unité s’est dotée d’un panel d’activités plus conséquent, comportant notamment des ateliers cuisine, relaxation, vidéothèque, des groupes de parole, d’art-thérapie, d’ergothérapie, et des activités sportives, que pratiquent la majorité des patients. Deux demi-journées de sport sont prévues pour chaque unité en groupe ou en individuel. Elles s’effectuent sur le plateau sportif de 300 m2, comportant selon un surveillant « un terrain synthétique de dix mètres sur quatre, un panier de basket, une table de ping-pong… ». Certaines activités sont communes aux différentes unités et peuvent rassembler des femmes, hommes et personnes mineures, à la différence du principe de séparation en vigueur en établissement pénitentiaire. En 2013, l’UHSA a accueilli 88 % d’hommes, 10 % de femmes et 2 % de mineurs.
Défaillance dans l’accueil des urgences
Initialement, l’UHSA avait été présentée comme « la solution miracle aux hospitalisations des détenus », rappelle une psychiatre intervenant dans une prison de la région. En réalité, l’UHSA de Lyon ne répond pas aux demandes d’hospitalisation d’urgence, alors qu’elle est en principe tenue de s’organiser pour les garantir « 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 (3) ». La procédure d’admission s’avère trop lourde : avis médicaux, décisions administratives et temps de transport rendent les délais d’attente incompatibles avec une situation d’urgence. Entre la réception de « l’accord médico-administratif » et la date d’entrée effective, le délai d’attente moyen était de 11 jours en 2013, avec un pic s’élevant à 56 jours si la demande est effectuée au mois d’août. Du côté de l’UHSA, on estime qu’il y a là un malentendu. Pour ses responsables, il ne fait aucun doute qu’elle n’est pas « faite pour ça. On ne répond jamais aux urgences ». Le bilan d’activité 2013 de celle de Lyon affiche ainsi un taux d’hospitalisation en urgence de… 0 %. Un malentendu relevé il y a deux ans par un député dans une question au gouvernement, qui vient de lui donner une réponse. Alain Bocquet déplorait que cette pratique dérogatoire de renvoi des urgences par les UHSA aboutisse à ce que les « situations de crise les plus difficiles » continuent d’être prises en charge « avec de grandes difficultés » par la psychiatrie générale et les « situations les plus simples par un service adapté (UHSA) ». Et la garde des Sceaux de répondre que « les UHSA en service doivent pouvoir accueillir les hospitalisations programmées, tout comme les urgences », les centres hospitaliers ne venant qu’en « renfort des UHSA lorsque ces dernières se trouvent dans l’incapacité matérielle d’accueillir les personnes détenues » (4).
Tel n’est pas le cas en Rhône-Alpes : en trois ans d’exercice, une psychiatre exerçant en établissement pénitentiaire explique n’avoir jamais pu faire entrer un patient en urgence à l’UHSA de Lyon et ce, malgré sa demande systématique.
Une soignante en SMPR indique dans le même sens : « lorsque je demande une hospitalisation à l’UHSA, je suis quasiment sûre qu’il n’y aura pas de place avant trois semaines ». Or, pour nombre de soignants, l’intérêt de l’UHSA résidait principalement dans cette promesse de répondre aux urgences les graves, pour lesquelles le SMPR n’était pas suffisant et pour compenser les insuffisances du milieu hospitalier.
« Je ne vois pas l’intérêt d’une structure hospitalière où il n’y a pas d’urgence. Quand on demande une admission en UHSA, c’est en général qu’il y a un risque suicidaire, donc on ne va pas attendre qu’il y ait une place », déplore une psychiatre en maison d’arrêt.
Les urgences continuent donc d’être adressées aux hôpitaux de proximité, où les patients détenus sont « plus enfermés qu’à la prison », déplore une infirmière psy.
Le pourquoi des UHSA reste en suspend
Au-delà des urgences, le nombre de refus faute de places disponibles a doublé entre 2011 et 2013, passant de 40 à 80.
L’UHSA de Lyon couvre en effet un territoire qui s’étend audelà de la direction interrégionale pénitentiaire, intégrant en partie celles de Dijon et de Strasbourg. Au total, 22 établissements pénitentiaires relèvent de son ressort. A cela s’ajoute un nombre d’admissions en baisse, dû à l’allongement des durées de séjours. Dès lors, 85 % des admissions proviennent des établissements les plus proches (ceux de la région Rhône- Alpes). Les personnes détenues dans des prisons plus éloignées continuent d’être envoyées en hôpital de secteur, avec une prise en charge le plus souvent inadaptée et des allersretours répétés entre prison et hôpital. Certaines se retrouvent maintenues en détention alors que leur état de santé nécessiterait une hospitalisation : « on a des patients qui sont psy, on les gère en détention, comme on peut », déplore une psychiatre en maison centrale. Un membre de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP) commente cette situation : « soit c’est une mauvaise information qui aboutit à envoyer des urgences, soit l’UHSA oublie ce pourquoi elle est là, c’est-à-dire répondre assez vite à des situations qui ne sont plus jouables dans la prison ». C’est ainsi que la question du rôle des UHSA continue de se poser. Si elles ne permettent pas d’éviter durablement le maintien en prison de personnes ayant de graves troubles psychiatriques, ni de remédier aux défaillances de la prise en charge des détenus en milieu hospitalier, se confirme une crainte exprimée dès leur ouverture : celle de voir se créer un dispositif participant à banaliser l’entrée et le maintien dans le circuit pénitentiaire de malades mentaux de plus en plus nombreux.
Clara Grisot, OIP Rhône-Alpes
1. Rapport relatif à la visite effectuée en France du 28 novembre au 10 décembre 2010 par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, 19 avril 2012.
2. Protocole de fonctionnement UHSA, Centre hospitalier Le Vinatier, annexe 6, 9 déc. 2010.
3. Circulaire du 18 mars 2011 sur le fonctionnement et l’ouverture des
UHSA ; Protocole de fonctionnement UHSA, Centre hospitalier Le Vinatier, article 2.1, 9 déc. 2010.
4. Réponse du gouvernement à une question d’Alain Bocquet, député du Nord, Journal officiel, 24 juin 2014.