À partir du lundi 22 octobre 2024, le projet de loi de finances sera débattu en séance publique à l’Assemblée nationale. Les orientations budgétaires de l'administration pénitentiaire pour 2025 ne feront que renforcer les effets dramatiques de la sur-incarcération et d’une surpopulation carcérale jamais atteinte.
Le montant de la dette créée par la construction de nouvelles prisons – et restant à rembourser – approchera les 5,4 milliards d’euros en 2025. Une politique au coût exorbitant qui ne répond en outre pas aux objectifs qui lui sont assignés.
Depuis 1990, le nombre de places de prison a augmenté de plus de 25 399, et le nombre de personnes détenues de plus de 33 549[1]. Le parc pénitentiaire n’a jamais été aussi vaste, et la population carcérale n’a jamais été aussi grande, avec 78 969 personnes incarcérées au 1er septembre. Un nombre qui excède déjà largement les 75 000 places prévues à horizon 2027. Résultat, la surpopulation carcérale dans les maisons d’arrêt, où sont incarcérées près de 70% des personnes détenues, n’a jamais été aussi criante, avec 153,6% de taux moyen d’occupation. Elles y sont entassées 22h voire 23h sur 24, à deux ou trois – parfois plus –, dans des cellules souvent insalubres d’environ neuf mètres carrés. Le nombre de personnes contraintes de dormir sur des matelas de fortune posés à même le sol atteint également un énième record : elles étaient 3 609 dans ce cas au 1er septembre.
Dans son récent rapport publié en octobre 2023, « Une surpopulation carcérale persistante, une politique d’exécution des peines en question », la Cour des comptes a elle-même affirmé que « la construction de nouveaux établissements n’a jamais permis de faire face à un besoin qui dépasse rapidement les capacités nouvelles. » Ce constat ne concerne pas uniquement la France, comme en témoignait en 2007 Sonja Snacken, criminologue et ancienne présidente du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe : « Presque tous les pays ayant eu recours à un accroissement du parc pénitentiaire ont vu leur taux de détention s’accroître, les nouvelles prisons se retrouvant à leurs tours surpeuplées. Si l’on n’agit pas sur les facteurs d’accroissement de la population pénitentiaire, on ne règle pas le problème. »
Les orientations budgétaires pour 2025 appellent ainsi à enfermer toujours plus et toujours plus longtemps, en résonance avec les orientations politiques du nouveau gouvernement avec, au premier rang, l’augmentation des courtes peines, l’instauration de peines planchers et l’élargissement de la procédure de comparution immédiate aux enfants. Ce qui conduira à de nouveaux records de surpopulation carcérale, que l’administration pénitentiaire prévoit elle-même dans ses indicateurs de performance. Pour 2025, le taux d’occupation dans les maisons d’arrêt devrait ainsi atteindre 164,3%. Car, selon ses propres termes, « si l’augmentation des effectifs incarcérés se poursuit, [les nouvelles] places [de prison] ne permettront pas de réguler les taux d’occupations des QMA au niveau national. » Ce qui « pourrait conduire », poursuit-elle, « à une baisse progressive du taux de personnes détenues bénéficiant d’un encellulement individuel ». Rappelons que le dernier moratoire à ce sujet prendra fin en 2027 et que l’administration prévoit à cette date un taux de 40% de personnes détenues bénéficiant d’une cellule individuelle.
La construction de nouvelles prisons n’est pas davantage un outil de lutte contre l’indignité des conditions de détention. La grande majorité des places construites ne vient en effet pas se substituer à des places de prison vétustes ou insalubres, mais uniquement s’y ajouter. Par exemple, sur les 23 fermetures annoncées en 2009 par la ministre de la Justice Michèle Alliot-Marie dans le cadre de son programme de construction, seules 4 prisons ont finalement fermé.
Même lorsque l’ouverture d’une nouvelle prison conduit à la fermeture d’une prison vétuste ou insalubre, cela reste inefficace. Par exemple, un an après son ouverture en 2021, la maison d’arrêt de Mulhouse-Lutterbach était déjà suroccupée à 165%. Sa « sur-utilisation » a accéléré le délabrement de l’établissement.
Plus généralement, il existe de nombreux exemples d’établissements condamnés par les tribunaux ou visés par des recommandations en urgence du Contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL) moins de vingt ans après leur ouverture, démontrant que les politiques pénales constituent en réalité un facteur de dégradation des conditions matérielles de détention. C’est le cas notamment des prisons suivantes :
- Saint Quentin Fallavier – CEDH 10 novembre 2011 – Mise en service en 1992
- Remire Montjoly – CAA Bordeaux 4 octobre 2011 – Mise en service en 1998
- Seysses – TA Toulouse 4 octobre 2021 – Mise en service en 2003
- Liancourt – CAA Douai 15 juin 2010 – Mise en service en 2004
- Ducos – CEDH 30 janvier 2020 – Mise en service en 2006
- Lille Sequedin – TA Lille 21 juin 2017 – Mise en service en 2005
Le budget investi dans la construction est en outre autant d’argent public qui n’est pas investi dans la rénovation – pourtant urgente – des prisons existantes. Dans son rapport d’activité de 2018, le CGLPL indiquait ainsi : « La construction annoncée de 15 000 places de prison est un message fâcheux qui aura nécessairement comme conséquence la baisse des moyens consacrés à l’entretien du parc existant ; pourtant lors de ses visites tout au long de l’année, le CGLPL a souvent observé une forte dégradation des conditions de la vie quotidienne ainsi qu’une baisse de la qualité de la maintenance des bâtiments et des conditions d’hygiène. »
De fait, le budget dédié à l’« entretien lourd » est dérisoire par rapport aux immenses besoins de rénovation des prisons existantes – qui conduisent par ailleurs à de multiples condamnations de l’Etat français par la Cour européenne des droits de l’homme et par les tribunaux administratifs nationaux. En 2022, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris estimait à environ 500 millions d’euros les travaux de réhabilitation de la seule prison de Fresnes. La même année, le budget annoncé pour 2023 était de 83 millions d’euros au niveau national. Accusant une baisse d’un tiers, il était de moins de 57 millions pour 2024. Pour 2025, le budget de l’année précédente concernant l’« entretien lourd » est encore divisé par deux, avec 28 millions d’euros.
Alors que la situation ne cesse de s’aggraver, force est de constater que les traitements inhumains infligés aux personnes détenues par la surpopulation carcérale, la vétusté et l’insalubrité des prisons françaises n’indignent plus, jusqu’au sommet de l’Etat. Faut-il rappeler que les châtiments corporels ne font – et ne doivent en aucun cas faire – partie intégrante de la peine ?
Enfin, le coût de la politique immobilière est d’autant plus abyssal que la prison fabrique de l’exclusion sociale et de la récidive. Qu’attend-on d’un temps carcéral marqué par la promiscuité, l’inactivité forcée, les multiples atteintes aux droits et profondément carencé en termes d’accompagnement ? En dépit des discours politiques démagogiques auxquelles les médias confèrent une place de plus en plus prédominante, c’est à ce temps dénué de sens et durant lequel la sortie de prison relève largement de l’impensé, que sont condamnées les personnes incarcérées.
L’administration pénitentiaire note en outre que « le surpeuplement carcéral est incontestablement un facteur majeur de renforcement de la violence au sein des détentions. Il contribue à la fois au développement d’un climat délétère pour les personnes détenues en les exposant à une promiscuité. Le nombre de personnes incarcérées est en constante augmentation, générant des difficultés quotidiennes dans les maisons d’arrêt et accentuant les comportements violents. »
Le budget de l’administration pénitentiaire pour 2025 n’y changera rien, bien au contraire. Aucune création d’emploi autre que des personnels de surveillance pour les nouveaux établissements pénitentiaires n’est prévue.
L’enveloppe dédiée à la prévention de la récidive et à la réinsertion des personnes placées sous main de justice – qui concerne donc un public bien plus large que les personnes détenues et dont le nombre est également en hausse ces dernières années – continue de stagner avec 121,8 millions d’euros (elle était de 123,2 millions d’euros pour 2024). L’administration pénitentiaire, dans ses indicateurs de performance, prévoit dès lors logiquement, pour 2025, une baisse du pourcentage de personnes détenues bénéficiant d’une formation générale (27% contre 28,5% en 2022) ou scolarisées par l’éducation nationale (27% contre 29,1% en 2023). Des prévisions particulièrement inquiétantes quand l’administration note par ailleurs que « 48 % des personnes détenues n’ont aucun diplôme et plus de 80 % font état d’un niveau inférieur au baccalauréat. »
Il en va de même pour les aménagements de peine et alternatives à l’incarcération, dont la somme pour 2025 est de 52 millions d’euros (elle était de 51,8 millions d’euros pour 2024) – avec les trois-quarts consacrés à la surveillance électronique, mesure de contrôle et de surveillance par excellence, et seulement 13,8 millions pour le placement à l’extérieur, mesure pourtant centrée sur l’accompagnement pluridisciplinaire.
Il est pourtant une solution peu coûteuse, en attendant les nécessaires réformes de fond en termes de politique pénale et pénitentiaire : contraindre les acteurs et actrices du monde pénal et pénitentiaire à appliquer la loi en instaurant un mécanisme de régulation carcérale. En début d’année, marchant dans les pas de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, du Contrôle général des lieux de privation de liberté, du Conseil économique, social et environnemental, de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ou encore du Comité des ministres de la même institution, 34 associations, syndicats et institutions demandaient aux pouvoirs publics de s’y résoudre.
L’interdiction effective de dépasser 100% d’occupation dans les établissements pénitentiaires pourrait être mise en œuvre par des dispositifs déjà existants, au besoin élargis. A titre d’exemple, les aménagements de fin de peine, que la loi pose en principe comme transition entre la détention et la liberté, ne sont octroyés qu’à une minorité de personnes détenues condamnées – alors même que plusieurs études montrent qu’ils permettent de diminuer les taux de récidive. Au 1er août 2024, précise l’administration pénitentiaire, « le taux global d’aménagement de peine des personnes condamnées et écrouées s’élève à 27,6%. »
Chez certains pays voisins, le risque de dépasser 100% d’occupation au niveau national est suffisant à justifier un plan d’action d’urgence. Aussitôt formé, le nouveau gouvernement britannique a ainsi mis en place un dispositif de régulation carcérale. Cette position confirme que si la situation dramatique perdure en France, c’est uniquement parce que les gouvernements successifs ont estimé que les droits humains des personnes incarcérées étaient secondaires. Il est urgent que cela change.
Par Prune Missoffe
[1] Données calculées à partir des dernières données publiées par le ministère de la Justice au 1er septembre 2024.