Alors que le pays est touché de plein fouet par une reprise active de la Covid-19 et que les clusters se multiplient dans les prisons, le nombre de personnes détenues ne cesse, à nouveau, d’augmenter. Tandis que la France a été condamnée en janvier par la Cour européenne des droits de l’homme à mettre un terme à sa surpopulation carcérale et que les plus hautes juridictions nationales ont, depuis, pris des décisions en ce sens, le gouvernement français n’a, de son côté, pas su prendre les mesures d’urgence qui s’imposaient.
Au 1er octobre, le nombre de personnes détenues s’élevait à 61 102, soit 2 400 de plus qu’il y a trois mois. Les prisons françaises ont désormais retrouvé un taux d’occupation moyen supérieur à 100 %, taux qui frôle les 115 % dans les maisons d’arrêt. Ces chiffres masquent comme toujours des disparités importantes : 176 % à Bordeaux-Gradignan, 157 % à Tours, 169 % à Douai, 155 % à Villepinte, 213 % à La-Roche-sur-Yon, 195 % à Carcassonne, 188 % à Nîmes, etc. Au total, 587 personnes dorment sur des matelas posés au sol, dans une promiscuité inadmissible.
Pourtant, grâce à des mesures volontaristes de libération anticipée combinées à la mise à l’arrêt forcé de la machine judiciaire, le pays avait connu pendant la première phase de la crise sanitaire une diminution sans précédent de sa population carcérale. Il y avait ainsi fin mai, pour la première fois en France depuis vingt ans, plus de places de prison que de prisonniers. Mille personnalités publiques, élus, professionnels de la justice, universitaires, associatifs appelaient alors Emmanuel Macron à saisir cette occasion historique pour ne pas renouer avec la surpopulation carcérale qui gangrène les établissements pénitentiaires français depuis trop longtemps. Éric Dupond-Moretti, alors avocat, comptait parmi eux.
Occasion manquée
Dès le début de l’été pourtant, le nombre des incarcérations est reparti à la hausse. Alors que le pays est désormais plongé au cœur de la deuxième vague de l’épidémie de Covid-19, il y a, à nouveau, urgence à agir pour endiguer la surpopulation carcérale et limiter la propagation du virus en prison : le nombre de cas confirmés parmi les détenus se multiplient, passant de 47 le 5 octobre à 88 le 14, puis 117 le 20 octobre et, enfin, 178 le 4 novembre.
Dans cette perspective, le garde des Sceaux a, le 23 octobre dernier, invité les parquets à requérir des mesures alternatives, que ce soit lors des débats sur le renouvellement de mandat de dépôt ou au stade de l’application des peines. Une initiative bienvenue mais insuffisante. Dès le printemps, associations, autorités indépendantes et organisations professionnelles avaient appelé à prendre des mesures en urgence afin de ne pas renouer avec la surpopulation des prisons : loi d’amnistie sur les courtes peines, numerus clausus, mécanisme de régulation carcérale… Des propositions face auxquelles l’exécutif a fait la sourde oreille, comptant sur les effets de l’entrée en vigueur en mars dernier du bloc peine de la loi de programmation pour la justice, malgré ses lacunes maintes fois dénoncées.
Droit dans le mur
L’urgence liée à la crise sanitaire survient alors que la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, en janvier dernier, pour l’indignité de ses conditions de détention et invitée, à cette occasion, à réduire sa population carcérale. Les plus hautes juridictions du pays ont, de leur côté, tiré les enseignements de cette sanction : après la Cour de cassation en juillet, le Conseil constitutionnel a, dans une décision récente, réaffirmé le principe selon lequel une personne ne peut pas être maintenue en détention provisoire dans des conditions indignes. Il a donné jusqu’au 1er mars 2021 au législateur pour créer la voie de recours permettant de faire appliquer ce principe. La portée de la décision est immense. Demain, les milliers de personnes qui sont détenues dans des établissements surpeuplés, vétustes, insalubres, pourraient demander à être libérées.
S’il veut éviter d’en arriver à cette situation intenable, le gouvernement n’a plus d’autre choix que de mettre en œuvre des solutions permettant d’endiguer de manière pérenne la surpopulation carcérale. Alors que des mesures fortes sont attendues, le projet de loi de finances présenté par l’exécutif pour 2021 affiche pourtant une redoutable continuité : les 89 millions d’euros prévus pour la probation pèsent bien peu face aux 556 millions d’euros alloués à l’immobilier pénitentiaire. On sait pourtant depuis des décennies que la course à la construction de places de prison supplémentaires ne permet de réduire ni le taux d’occupation des établissements, ni le recours à l’incarcération. Au contraire, le vieil adage n’a cessé de se vérifier : plus on construit, plus on remplit.
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