Contrôleur général des lieux de privation de liberté, organisations et barreaux d’avocats, Cour européenne des droits de l’homme : six mois après la publication du rapport de l’OIP sur les violences commises par des agents pénitentiaires et face à la multiplication des signaux d’alerte, il est urgent que le ministère de la Justice respecte ses obligations de protection des personnes détenues et de lutte contre l’impunité.
Le 3 juin dernier, l’OIP publiait un rapport d’enquête dressant un état des lieux des violences commises par des agents pénitentiaires sur les personnes détenues et proposait aux institutions concernées de nombreuses recommandations[1]. Au lendemain de la publication d’un rapport du CGLPL sur les violences interpersonnelles dans les lieux de privation de liberté[2], force est de constater que les observations et recommandations de l’institution concernant les violences en détention rejoignent celles de l’association.
Les mauvaises conditions de détention, une gestion de la détention basée sur des règles parfois incohérentes et arbitraires, des impératifs de sécurité qui priment trop souvent sur le respect des droits, des tensions qui dégénèrent faute de procédures de désescalade de la violence, des problèmes de recrutement et de formation du personnel présent en détention : autant de facteurs de violences minutieusement décrits par l’OIP dans son rapport d’enquête et également pointés par la Contrôleure. Les obstacles rencontrés par les victimes sont, eux aussi, les mêmes que ceux constatés par l’OIP dans son enquête : un manque d’information des personnes détenues quant à leurs droits, des difficultés à identifier les auteurs, à rassembler les preuves ; des difficultés à signaler les faits, à déposer plainte, des courriers bloqués ; des soignants qui, trop souvent, refusent d’établir un certificat médical constatant les blessures, ou d’y indiquer le nombre de jours d’ITT ; une « banalisation des violences », qui imprègne le discours du personnel pénitentiaire mais aussi celui du personnel soignant ; enfin, des enquêtes bâclées et une absence de prise en charge et de protection des victimes.
Les autorités sont pourtant « titulaires d’une double obligation », souligne le CGLPL : « Celle de ne pas porter elles-mêmes atteinte à la sécurité de personnes privées de liberté, mais également celle de les protéger contre tout risque d’atteinte. » Ces obligations s’ajoutent à celles rappelées par la CEDH qui vient de condamner doublement la France pour le traitement inhumain et dégradant infligé à une personne détenue[3] : celle de mener une enquête effective et approfondie en cas d’allégation de violence. Dans le même temps, quatre organisations d’avocats et seize barreaux ont décidé de se mobiliser face à « l’inertie de l’institution judiciaire » à laquelle ils sont confrontés dans la défense de leurs clients incarcérés victimes de violence[4].
Ces mises en cause ne semblent pourtant pas inquiéter le ministère de la Justice. La Contrôleure souligne ainsi avoir adressé un questionnaire à l’ensemble des institutions concernées en vue de la préparation de son rapport et que, si toutes ont donné suite, « les sollicitations de la DAP en 2018 et 2019 sont restées vaines. » Et de conclure que la loi du silence règne bel et bien encore aujourd’hui derrière les murs des prisons…
Devant la multiplication des constats, condamnations et recommandations qui, toutes, rappellent l’urgence d’agir pour mettre un terme à l’omerta et à l’impunité, les autorités ne peuvent continuer à faire la sourde oreille et prétendre que les violences commises par des personnels pénitentiaires « sont toujours sanctionnées », comme l’a affirmé la garde des Sceaux le 15 septembre dernier[5]. Nous attendons désormais d’elles qu’elles prennent des mesures afin que les actes de violences commis en détention fassent l’objet d’un signalement et d’une enquête systématiques.
En écho aux recommandations publiées ce jour par le CGLPL et aux préconisations que nous formulions il y a six mois, restées sans suivi, nous demandons :
– La mise en place d’outils de mesure des phénomènes de violence et d’une politique de transparence en la matière.
– La mise en place de mécanismes d’alerte efficaces et protecteurs, notamment : l’information systématique faite aux personnes détenues sur les démarches à entreprendre en cas de violence ; leur protection, par la garantie du respect de la confidentialité des échanges trop souvent mis à mal ; l’élaboration de protocoles à l’attention de l’ensemble des acteurs concernés leur rappelant leurs obligations en cas d’allégation de violences.
– La mise en place d’un dispositif, par le biais d’une permanence juridique ou judiciaire, permettant aux personnes détenues de porter plainte en cas d’allégation de violence.
– La garantie d’enquêtes effectives en cas de plainte ou de signalement, et notamment : la possibilité d’identifier les professionnels intervenant en détention, par le port d’un matricule ; l’extraction et la conservation des images de vidéosurveillance dès lors qu’un acte de violence est signalé.
Contact presse : Pauline De Smet · 01 44 52 88 00 · 07 60 49 19 96
[1] OIP, Omerta, opacité, impunité : enquête sur les violences commises par des agents pénitentiaires sur les personnes détenues, 3 juin 2019.
[2] CGLPL, Les violences interpersonnelles dans les lieux de privation de liberté, Dalloz, décembre 2019.
[3] OIP, « Violences de surveillants pénitentiaires : la France doublement condamnée par la CEDH », communiqué du 5 décembre 2019.
[4] Communiqué à l’initiative de l’A3D et cosigné par le Conseil national des barreaux (CNB), le Syndicat des avocats de France (SAF), la Fédération nationale des unions des jeunes avocats (FNUJA) et seize barreaux français, 11 décembre 2019.
[5] Le Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI, 15 septembre 2019.