Un nouveau reniement. Député, Jean Jacques Urvoas estimait en 2009, lors des débats sur la loi pénitentiaire, que « la dignité humaine implique de proscrire les fouilles corporelles » en détention. Et précisait : « Si elles étaient efficaces, nous ne connaîtrions pas le trafic existant actuellement dans les établissements pénitentiaires. » Aujourd’hui ministre de la Justice, il vient d’obtenir du Sénat l’adoption d’un amendement au projet de loi Lutte contre le crime organisé et le terrorisme visant à permettre une massification du recours aux fouilles à nu dans les prisons françaises. Un reniement à l’arrière-goût de calcul politique. Multiplier les gages donnés aux syndicats de personnels pénitentiaires pour gagner leur soutien dans un contexte politique troublé par la surenchère sécuritaire.
Les fouilles intégrales sont gravement attentatoires à la dignité humaine. Du Comité contre la torture des Nations unies au Comité européen de prévention de la torture du Conseil de l’Europe, du Contrôleur général des lieux de privation de liberté au Défenseur des droits, en passant par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, tous les organes de respect des droits de l’homme en conviennent. Sous la pression de la Cour européenne, qui avait condamné la France pour sa pratique des fouilles intégrales en détention, le législateur est intervenu en 2009 pour encadrer leur usage. Lors des débats parlementaires, M. Urvoas, fervent défenseur de leur abrogation, interpellait les députés : « Mes chers collègues, si l’un de nous avait subi cela, pourrait-il prôner rationnellement le maintien des fouilles corporelles intégrales dans notre appareil normatif ? ».
Selon l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009, la décision de recourir à une mesure de fouille intégrale doit être individualisée, c’est-à-dire strictement justifiée au regard du risque spécifique que la personne détenue est susceptible de faire courir pour la sécurité. Ces dispositions ont cependant été massivement méconnues par l’administration pénitentiaire, qui a continué à faire un usage systématique des fouilles à nu, notamment en y soumettant tous les détenus ayant reçu une visite au parloir, obligeant l’OIP à engager une campagne contentieuse en 2011 pour obtenir l’arrêt de ces pratiques illégales et dégradantes. Pressée par la multiplication des condamnations obtenues en justice par l’association, la chancellerie adressait finalement en novembre 2013 une note aux services pénitentiaires leur demandant d’appliquer strictement la loi et d’abandonner la pratique des fouilles intégrales systématiques. Mais la résistance des syndicats de personnels n’en a pas pour autant été vaincue. En mai 2013, le SNP-FO interpellait la ministre de la Justice en lui signifiant que « l’abrogation de l’article 57 de la Loi Pénitentiaire n’est pas une option, mais un devoir envers vos électeurs qui vous font confiance pour leur sécurité ! », et qualifiant de « honte » et de « scandale » le refus de cette dernière de répondre favorablement à cette revendication. De son côté, l’UFAP-UNSA Justice a pu affirmer « l’urgence d’abroger ou de modifier l’article 57 de la loi Pénitentiaire », précisant n’avoir « jamais approuvé cette loi permissive ! ».
Le ministre de la Justice et le sénat ont donc cédé aux sirènes sécuritaires des syndicats de personnels pénitentiaires, au mépris du droit le plus élémentaire au respect de la dignité humaine des personnes détenues. Relevant qu’« au regard de l’interprétation qui en a été faite par le juge administratif » l’article 57 de la loi pénitentiaire, « rend nécessaire l’individualisation de chaque décision de fouille », l’amendement voté se propose de contourner cet « impératif jurisprudentiel » jugé « inadapté » en permettant le recours à « tout type de fouilles » dans des situations identifiées comme susceptibles de permettre l’introduction d’objets ou de substances interdits en détention ou dangereux, « sans qu’il soit nécessaire d’individualiser cette décision au regard de la personnalité du détenu ». Il s’agit donc ni plus ni moins que de permettre le retour de la pratique des fouilles intégrales systématiques en détention, notamment à l’issue des parloirs.
Cette régression ne fait pas l’unanimité au sein de l’administration pénitentiaire. Il y a quelques semaines, le Syndicat national des directeurs de prison (SNDP) affirmait par voie de communiqué que l’article 57 de la loi pénitentiaire « n’empêche pas de veiller à la sécurité en détention », soulignant notamment que « les plus grandes craintes liées à l’entrée d’armes ou d’explosifs en détention, et celles liées à la facilitation de préparatifs d’évasion ne se sont pas révélé fondées ». Le syndicat ajoutait que « des habitudes professionnelles nouvelles ont fini par apparaître, et bien des surveillants apprécient de ne pas avoir à procéder sur l’ensemble des détenus à ce geste professionnel délicat et gênant-e pour chacun-e que constitue une fouille intégrale ».
En soumettant au vote du sénat un amendement légalisant et encourageant la pratique des fouilles intégrales systématiques, le gouvernement, et son ministre de la Justice, ont fait le choix de se joindre aux voix les plus réactionnaires et de renoncer à la défense des droits fondamentaux…
Ils exposent à n’en pas douter la France à de nouvelles condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme.